Crise ou transition du bénévolat ? Tout ne va pas bien au royaume de l'engagement désintéressé. Beaucoup d'associations peinent à renouveler leur gouvernance et le nombre de bénévoles associatifs a diminué entre 2019 et début 2022. Mais cette baisse pourrait n'être que transitoire et se résorber avec la confirmation d’un retour à la « vie normale ».

12 millions de bénévoles

Injonction paradoxale… A la sortie de la crise sanitaire, l’enquĂŞte La France bĂ©nĂ©vole conduite par Recherches & SolidaritĂ©s pour France BĂ©nĂ©volat rĂ©vĂ©lait que les associations avaient perdu 15 % de leurs bĂ©nĂ©voles par rapport Ă  2019 soit environ 12 millions. Et pourtant, que n’avions nous vu sur nos Ă©crans et dans nos vies, des manifestations de solidaritĂ©s inĂ©dites et massives durant les phases de confinement. Premier Ă©lĂ©ment de rĂ©ponse, le bĂ©nĂ©volat n’est pas qu’associatif et le don de temps a pu se transfĂ©rer dans des actions informelles de proximitĂ© ou au sein d’autres organisations (Eglises, syndicat, Ă©tablissements publics). Et ce alors mĂŞme que les associations Ă©taient contraintes Ă  l’arrĂŞt de leurs activitĂ©s.

 

montante d'une femme jeune et plus âgée

Transition générationnelle

Deuxième explication… La baisse a été particulièrement forte chez les retraités, qui représentent près de 40 % des bénévoles et sont les plus généreux en temps consacré. De fait, quand le nombre de bénévole de moins de 35 ans diminuait de 1 point entre 2019 et début 2022, il baissait de de 31 à 26 % chez les plus de 65 ans. Mais pour Cécile Bazin, il est urgent d’attendre. « L’enquête a été réalisée début 2022, alors que le retour à la normal n’étais pas totalement achevé », tempère-t-elle.

Turn-over Ă  la Croix-Rouge

A la Croix-Rouge Française, on préfère parler de « transformation des envies d’engagement », plutôt que de « crise des vocations », explique Rémy Foulon, responsable du pôle Parcours d'engagement bénévoles. Le nombre de bénévoles n’a d’ailleurs pas baissé dans cette association, parmi les plus grandes de France (17 000 salariés, 68 000 bénévoles). Mais on constate un renouvellement générationnel : « la crise sanitaire a eu un impact sur les bénévoles les plus âgés et on peine à les voir revenir. C’est contrebalancé par l’accroissement de l’engagement des jeunes mais qui arrivent avec des envies différentes ».

 

homme dans un ascenseur qui appuie sur un Ă©tage

QuĂŞte de sens Ă  tous les Ă©tages

Un chiffre concentre l’attention du responsable de l’engagement bénévole : le taux de turn-over a sérieusement grimpé depuis trois ans avec près de 15 % de départs et arrivées. Cette nouvelle volatilité pose des questions. « Cela a un impact sur l’organisation des équipes locales et par ailleurs, à plus long terme, nous avons besoin de garder une base solide qui pourra monter en responsabilités, porter des projets de long terme », explique Rémy Foulon. Or, la tendance de la nouvelle génération est plutôt à l’engagement sur un projet, une action et sans engagement de durée. « Nous veillons à offrir une possibilité d’engagement sous toutes ses formes. Autant en accueillant les nouveaux profils de bénévoles qu’en permettant à des bénévoles de devenir salariés ou en encourageant les pratiques bénévoles dans les entreprises ».

Gouvernance associative

Selon le Paysage associatif français un quart des actions bénévoles se déroulent dans les associations sportives, puis les associations culturelles (22,1 %), de loisirs (20,7 %) et enfin les actions humanitaires, santé et sociales (15,7 %). Au total, 31 millions d’actions bénévoles sont réalisées par an. Le chiffre date de 2017 et il faudra attendre 2023 pour connaître l’impact de la crise sanitaire. Mais jusque-là, ce chiffre ne cessait d’augmenter avec un rythme tenu de plus de 5 % par an. Là où le bât blesse, c’est au niveau des instances dirigeantes. Présidence, trésoriers, administrateurs ou administratrices… C’est sur ces bénévoles pas comme les autres que repose la continuité du projet associatif et la stratégie de mise en œuvre tout au long de la vie de l’organisation. Bref, des bénévoles plus impliqués et plus « responsabilisés » que les autres. Or les associations souffrent depuis longtemps pour renouveler les membres de cette gouvernance. La moyenne d’âge des présidents et présidentes d’association est de 58 ans, mais 41,3 % ont plus de 65 ans. La tendance émergente d’un engagement bénévole « sans engagement » fait courir le risque d’un fossé générationnel qui se creuse avec des dirigeant associatifs vieillissants faute de candidats à la succession. Cela peut engager la survie d’une association de petite taille ou ne vivant que sur le bénévolat (cas de 90 % des 1,5 millions d’associations). Et pour les grandes, il faut anticiper.

 

Enfant qui lève le poing avec une fusée dans le dos

Master class engagement

C’est pourquoi cinq grands réseaux associatifs (Croix-Rouge Française, Apf France handicap, Familles rurales, Ligue de l’enseignement, AFM Téléthon) coorganisent depuis cinq ans une Master class annuelle destinée à capter des talents issus des rangs bénévoles pour les accompagner vers la prise de responsabilité. « L’enjeu est double explique Axel Sengenès-Cros, responsable Croix-Rouge Jeunesse. Créer des liens entre associations et mouvements de jeunesse, mais aussi mettre en avant des jeunes de l’association et dessiner le visage des dirigeants de demain. »

Jeune et responsable

Cette Master class Engagement et gouvernance convie donc un weekend par mois, pendant un an, vingt-cinq jeunes (5 par réseau) à travailler un projet inter associatif de leur choix : « Nous avions travaillé sur le genre dans les associations et envisagé une formule de plaidoyer autour de la question des quotas, la considération du genre et de la transidentité », raconte Axel Sengenès-Cros qui a lui-même fait partie de la promotion 2019. « Cette Master class a été l’opportunité de mieux comprendre comment une association peut fonctionner, notamment sur le plan de la démocratie associative. Cela permet de légitimer des jeunes à la prise de responsabilité ultérieure, notamment dans un Conseil d’administration », résume-t-il. De tels dispositifs, très ciblés, illustrent le fond d’un enjeu de transition générationnelle chez les responsables associatifs où la cooptation, garantie de continuité du projet, ne doit pas étouffer les changements d’époque et l’évolution des enjeux sociétaux portés par la jeune génération.

DĂ©mocratie associative

L’animation démocratique des associations grandes ou petites est donc un enjeu fondamental de la vitalité du bénévolat. Car sans renouvellement des énergies, des associations disparaîtront, et ce renouvellement ne se fera que si la jeune génération est prête à prendre ses responsabilités.

Engagement bénévole, cohésion sociale et citoyenneté

Le Conseil économique social et environnemental a adopté en juin 2022 un avis consacré à l’engagement bénévole où il propose un certain nombre de préconisations afin de reconnaître et développer l’engagement bénévole en France. On y retrouve l’enjeu d’intégrer la reconnaissance des compétences acquises dans son travail bénévole au moment d’une valorisation des acquis d’expériences, au même titre que les compétences professionnelles. Un débat ancien qui a retrouvé une actualité au moment où Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’ESS et à la Vie associative a annoncé défendre la mise en œuvre du principe dans un article de la Loi réformant l’assurance chômage. L’avis rappelle notamment l’urgence mentionnée, notamment par le Mouvement associatif de renforcer très sensiblement les fonds d’Etat alloués à la formation des bénévoles et d’ouvrir le Compte épargne citoyen (CEC) à tous les bénévoles quelle que soit la structure (association, mutuelle, syndicat…). Engagement bénévole, le CESE a adopté son avis | Le Conseil économique social et environnemental