Jérôme Saddier : « nous ferons [le Grand débat] avec nos propres règles et questionnements »

22/01/2019
Actualité
Jérôme Saddier, est le président d’ESS France depuis le 1er janvier 2019. Premier défi : opérer le rapprochement des instances représentatives de l’ESS. Où en est ce chantier, quel rôle pour l’ESS dans le Grand débat national, quid des financements publics… le nouvel homme fort de l’ESS répond aux questions du Fil CIDES.

Quel serait le mot-clé pour qualifier le mandat que vous entamez à la tête d’ESS France ?

Alliance. La multiplicité des structures nationales représentatives n’a pas démontré l’efficacité attendue. Face aux enjeux de la société française et au vu des intérêts bien compris des organisations elles-mêmes, nous avons besoin de cette alliance pour avancer et parler de façon plus forte et plus coordonnée auprès des pouvoirs publics et de nos mandants, et augmenter notre visibilité auprès de nos concitoyens. Le contexte de crise sociale nous renforce dans cette responsabilité collective.

Où situez-vous le curseur de cette alliance aujourd’hui ?

Le sujet est encore ouvert, mais l’enjeu a été validé par l’assemblée générale du mois de décembre dernier. Ce qui nous semble impératif, c’est d’avoir tout le monde autour d’une même table et d’un même projet politique, ce qui n’était pas tout à fait le cas, et d’être coordonnés entre l’échelon national et territorial.

Qui n’était pas autour de la table ?

Au niveau national, l’organisation fédérative des employeurs de l’économie sociale (l’UDES), n’était pas pleinement intégrée à ESS France, par exemple. Au niveau territorial, les CRESS sont en pleine dynamique, mais il n’y a pas toujours de synergie forte avec les grands réseaux nationaux de l’économie sociale et solidaire, lesquels s’investissent inégalement au niveau territorial.

Le Haut-commissaire à l’ESS, Christophe Itier avait demandé la fusion de ces instances représentatives devant le Conseil supérieur de l’ESS fin 2017. C’est de cela dont on parle ?

Il a effectivement prononcé le mot de fusion des instances nationales en visant à l’époque ESS France, le CNCRESS et l’UDES. Nous avons dit à Christophe Itier que nous avions bien compris son message mais qu’en toute autonomie, nous ferions les choix qui nous paraissent les plus judicieux. Il y a eu un constat unanime fait par l’AG d’ESS France devant nous amener à faire évoluer nos structures. Le projet est d’abord une recherche d’efficacité globale et d’impact politique, mais la fusion de toutes ces instances ne peut pas être un préalable, et elle n’est certainement pas possible du côté des employeurs.

Quelles sont les options possibles ?

Je proposerai au Conseil d’administration de février une feuille de route visant à séquencer les étapes du processus. L’Assemblée générale du 27 juin, en sera une étape déterminante car nous aurons alors à adopter une architecture cible de ce rapprochement. Si nous n’y arrivons pas dans ce délai, je crains que cela ne se fasse pas.

ESS France a été taxée, parfois, d’une forme d’immobilisme parce que les grandes familles ne s’entendraient pas si bien. Comment avez-vous trouvé ESS France en arrivant à la présidence ?

Je ne suis pas sûr qu’il y ait autant de divergences que cela, mais après l’adoption de la loi de 2014 qui résultait d’un intense travail préparatoire avec les acteurs de l’ESS, ceux-ci ont peut-être échoué à se donner de nouveaux chantiers communs. Par définition, ses membres ne se ressemblent pas, une coopérative d’agriculteurs n’a pas les mêmes objectifs qu’une mutuelle santé, et leurs intérêts collectifs ne se résument pas à des préoccupations d’employeurs, qui du reste ne s’expriment pas toujours dans des organisations représentatives de l’ESS.

Le commun à construire par ESS France est donc plus globalement politique, et dépasse les quatre familles statutaires puisqu’il y a aussi d’autres réseaux d’acteurs (Finansol, L’Esper, le Mouves, le Mouvement de l’économie solidaire). Il peut raisonnablement y avoir des différences importantes entre tous ces acteurs-là. Et chaque famille est animée, en son sein, par ses propres débats. Mais le débat est une force, pas un handicap.

Nous avons d’ailleurs démontré récemment que nous sommes capables d’analyses communes en adoptant à l’unanimité un communiqué sur la situation sociale. Ce n’était pas simple et ce n’est pas pour autant un communiqué édulcoré.

Ce que nous souhaitons impulser, c’est que des acteurs de statuts différents travaillent ensemble, précisément parce qu’ils sont sur les mêmes problématiques. C’est malheureusement assez peu fréquent aujourd’hui. Que l’on soit mutuelle, association, coopérative, fondation ou entreprise sociale, on peut être impliqué chacun de son côté sur l’accès aux soins, le logement social, la petite enfance ou les énergies renouvelables. Il y a là aussi matière à créer des alliances nouvelles entre acteurs non-lucratifs.

Quel rôle souhaitez-vous jouer dans le Grand débat national ?

Nous avons proposé au Président de la République que les organismes de l’ESS soient impliqués dans le Grand débat national pour trois raisons, au-delà de l’expression de notre propre vision politique. D’abord nos organismes savent délibérer, c’est la base de ce que nous sommes : délibérer avec des gens qui n’ont pas toujours des intérêts convergents. Ensuite, c’est aussi notre identité que de trouver des solutions à certaines problématiques ou des besoins non satisfaits. Enfin, nous savons aussi expérimenter des solutions innovantes sur les territoires. Les maires le disent en permanence : les associations, et parfois plus généralement les acteurs de l’ESS, font partie des derniers facteurs de cohésion sociale et territoriale quand les services publics se retirent.

Nous offrons donc des lieux, des méthodes et des sujets pour essayer de sortir de la crise. Nous ne règlerons pas la crise à nous seuls, mais nous avons le sentiment que l’ESS est un moteur efficace à la recherche de solutions. En revanche, nous le ferons avec nos propres règles et questionnements car, d’une part nous ne pensons pas que les questions posées par la lettre du Président de la République soient les seules ni même parfois les bonnes, et d’autre part nous souhaitons restaurer la parole des corps intermédiaires dans un processus qui ne semble pas les intégrer.

Le Pacte de croissance de l’ESS présenté fin 2018 est-il une bonne base de dialogue avec le gouvernement ?

Nous avons déjà dit fin novembre à Christophe Itier que nous avions regretté la méthode. Il a décidé d’assumer celle-ci, c’est son choix et son droit. Lorsqu’il s’est agi de faire adopter une loi avec un spectre assez large pour une reconnaissance et le développement de l’économie sociale, la méthode choisie à l’époque était la co-construction (1). Il y a des limites, et parfois des inconvénients à celle-ci, mais, en l’occurrence, tout le monde a été satisfait, même s’il y avait des manques.

Là, la méthode était inverse. Il y a eu quelques auditions, mais pas de concertation sur la base de propositions faites par le Haut-commissariat.

 

  1. Jérôme Saddier était Chef de cabinet et conseiller spécial de Benoît Hamon sur l’ensemble de la période d’élaboration de la Loi ESS de 2014.

Sur ce point, Christophe Itier répond qu’il y a eu du débat et de la concertation, notamment au travers de nombreux déplacements dans les territoires à la rencontre des acteurs…

Il faut savoir ce qu’on veut dans notre République. Il y a des corps intermédiaires qui font partie du contrat social républicain, et qui ont toute leur légitimité et leur utilité, même lorsque cela dérange les pouvoirs publics quels qu’ils soient. Ils ont parfois des pesanteurs, mais ils ont aussi une antériorité et une profondeur d’enracinement dans la société qui n’est pas négligeable quand il s’agit de faire remonter des problèmes ou de trouver des solutions. Et ce n’est pas l’économie sociale et solidaire qui va dire le contraire ni accepter qu’on prétende le contraire. Cela n’empêche pas d’aller voir les acteurs de terrain. Mais cela ne remplace pas les organisations représentatives.

On ne va pas épiloguer sur ce qui s’est passé jusqu’ici. Aujourd’hui, nous sommes dans une autre phase que nous tentons de construire de la manière la plus intelligente possible. J’ai demandé à tous les membres d’ESS France de partager leurs appréciations du Pacte de croissance, et le Conseil supérieur de l’ESS aura deux mois pour rendre son avis, suite à son renouvellement. Cela permettra je l’espère de revenir sur des aspects qui ont été mis de côté voire oubliés, soit parce qu’ils n’ont pas été entendus, soit parce qu’ils n’ont pas été validés en interministériel. Quoi qu’il en soit, ce Pacte élaboré avant l’expression de la crise sociale n’est pas à la hauteur des problèmes posés par celle-ci.

Quels sujets ?

Notamment des sujets fiscaux, d’équité de traitement, d’accès à la commande publique. Mais je ne veux pas rentrer dans le détail à ce stade.

Quelle est votre principale préoccupation sur le champ du financement public de l’ESS ?

Il y en a deux. La première concerne les associations. Après la fin annoncée des contrats aidés et la tension sur les subventions publiques, la nouvelle déconvenue est de voir les crédits du Dispositif Local d’Accompagnement (DLA) baisser de manière plus que sensible. L’année dernière, la baisse votée dans la loi de finances n’a été qu’apparente car elle a été corrigée, grosso modo, par le « dialogue de gestion » sur l’année conformément aux engagements qui avaient été pris par le gouvernement. Or, la loi de finances pour 2019 acte cette baisse structurelle de 20% pour un budget de 8,3 millions d’euros, sans aucune garantie gouvernementale d’une nouvelle régulation budgétaire. Le développement de certaines entreprises associatives dépend souvent des moyens d’accompagnement financés par le DLA. On peut toujours se poser des questions pour savoir si l’aide est pertinente, affectée au bon endroit, etc… mais si on commence en réduisant l’enveloppe de 20 %, il est clair qu’il y aura de la casse.

La deuxième source d’inquiétude est sur le plan territorial. Certaines Régions ne portent pas particulièrement dans leur cœur l’économie sociale et solidaire, et ont décidé de réduire assez drastiquement leur soutien au développement de celle-ci. Certaines Cress sont très fragilisées et, au-delà, certains acteurs de terrain.

Est-il raisonnable d’espérer que, pour la prochaine loi de finances, l’ESS soit en position de concentrer son énergie sur l’adoption de mesures positives pour l’ESS, plutôt que de la dépenser à rattraper des « bugs » dans la mécanique budgétaire (http://www.les-scop.coop/sites/fr/espace-presse/communique-PLF-vote-assemblee-nationale) ?

Je persiste à penser qu’en dépit de l’annonce d’une augmentation des crédits pour l’ESS, qui tient en partie à l’agrégation de financement qui préexistaient mais qui étaient dispersés, nous ne sommes pas dans un écosystème favorable au financement de l’ESS. Il est toujours aussi facile de s’en prendre aux organismes de l’économie sociale et solidaire, on l’a vu récemment avec des exemples d’agressions caractérisées contre le développement des SCOP et des SCIC, ou encore contre les mutuelles. D’accord, ce n’est pas une nouveauté, mais s’il y a un saut qualitatif à faire d’ici la fin du quinquennat, c’est celui-là… En clair, il nous faut des crédits, mais aussi du crédit auprès des pouvoirs publics.

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