Clauses sociales : l’Europe en marche, la France dans le peloton de tête

26/05/2016
Actualité
Chaque année 250 000 autorités locales dépensent l’équivalent de 17% du PIB de l’UE pour l’achat et la contractualisation de biens et services. La Directive européenne 2014/24, dont le délai de transposition par les États membres vient de prendre fin le 18 avril 2016, introduit la possibilité d’inclure des clauses sociales dans la passation de marchés publics. Les marchés publics deviennent dès lors un véritable levier de développement pour le financement des entreprises de l’économie sociale et solidaire.

Exit le seul principe du « prix le plus bas ». L’article 67 de la Directive « marchés publics » établit désormais le caractère dual des critères d’attribution pour une évaluation des offres et le contrôle de leur exécution basée sur le « meilleur rapport qualité/prix ». S’il le souhaite, le pouvoir adjudicateur peut désormais prendre en compte des clauses sociales ou environnementales pour décider de l’attribution des marchés publics. S’il le souhaite… Car, outre le cadre fourni par les dispositions environnementales et sociales du droit du travail, les clauses sociales n’ont rien d’obligatoire. Les conditions d’évaluation de la qualité des services fournis restent également à la discrétion des autorités publiques.

Pour la fourniture de certains services dits « sociaux et spécifiques » (santé, culture, etc.), les autorités peuvent décider d’attribuer les marchés publics à des organisations fondées sur une participation active des salariés (article 77). Il n’est toutefois pas assez clairement précisé si les entreprises sociales, telles que les coopératives, sont expressément visées par cette disposition. En revanche, l’article 20 stipule explicitement que les autorités peuvent réserver des marchés aux entreprises employant des personnes défavorisées ou handicapées. Cette disposition inclusive devrait bénéficier principalement aux entreprises d’insertion.

Panorama de la transposition de la Directive en Europe

Adoptée à l’unanimité par les États membres au Conseil de l’Union européenne et par une écrasante majorité de parlementaires européens, la Directive tarde pourtant à être transposée dans certaines législations nationales. Seuls 10 des 29 États membres ont adapté leur droit à temps (Allemagne, Bulgarie, Danemark, France, Hongrie, Italie, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie et Slovénie), soit avant ou pendant le mois d’avril 2016¹. Premier État à avoir transposé la directive en février 2015, le Royaume-Uni avait fait pression en faveur du texte. Toutefois, ses motivations portaient moins sur l’intégration de clauses sociales qu’en faveur d’une simplification des procédures de passation des marchés.

Parmi les moins bons élèves, certains États ont effectué la transposition mais ne prévoient une entrée en vigueur que d’ici l’automne (Belgique, Estonie, Finlande, Lettonie, Lituanie, Malte, République tchèque). Dans d’autres États, l’avancement de la transposition reste flou (Autriche, Grèce, Luxembourg). L’occurrence d’élections a conduit à bloquer en partie le processus (Autriche, Croatie, Espagne, Irlande, Portugal), voir à remettre totalement en cause l’ébauche de transposition élaborée par le gouvernement précédent (Pologne).

La France parmi les précurseurs

L’entrée en vigueur de la transposition de la Directive en France s’est faite dans les temps. Cette transposition confirme une disposition introduite quelques années plus tôt dans le Code des marchés publics et l’ordonnance du 6 juin 2005 offrant une base juridique à la prise en compte des préoccupations sociales et environnementales dans la commande publique. Ainsi, entre 2009 et 2012, la proportion de marchés publics comportant des clauses sociales est passée de 1,9 à 4,3 % (marchés d’une valeur supérieure ou égale à 90 000 €).

Outre la France, plusieurs gouvernements européens se sont saisis de la marge de manœuvre qui leur était laissée pour prendre en compte la dimension qualitative dans la rédaction du cahier des charges pour les appels d’offre². Les résistances administratives à l’échelle nationale étant forte, les initiatives pionnières se sont surtout développées au niveau local.

Lors du dernier intergroupe du Parlement européen sur l’économie sociale en mars 2016, plusieurs élu-e-s ont ainsi témoigné de leurs expériences plus ou moins réussies de prise en compte de considération sociales et environnementales. C’est par exemple le cas de la région d’Asturies en Espagne où Pilar Varela occupe le poste de Ministre pour les droits sociaux et services. Depuis la fin des années 2000, une partie du budget est réservée aux entreprises actives dans la lutte contre exclusion sociale, et une partie des postes de ces entreprises sont réservés à des personnes défavorisées ou en situation de handicap, là où de faibles qualifications sont requises (par exemple, pour l’entretien des espaces verts).

Une opportunité à saisir pour les acteurs de l’ESS

En mettant un terme au seul principe du « prix le plus bas », la Directive « marchés publics » crée un appel d’air pour les organisations de l’ESS en termes de financements publics, de visibilité et de reconnaissance du rôle qu’elles peuvent jouer aux niveaux économiques et sociaux. Il reste que cette directive ne bénéficiera à l’ESS que si les pouvoirs adjudicateurs, locaux et nationaux, préfèrent aux impératifs budgétaires courtermistes, les effets bénéfiques de prestations plus inclusives et plus durables.

Ce changement d’approche ne se fera pas sans un travail de sensibilisation conséquent. La Commission européenne a d’ores et déjà mis en place un réseau européen pour les marchés publics et constitué un groupe d’experts à la disposition des États pour promouvoir les bonnes pratiques existantes en la matière. Plusieurs parlementaires européens ainsi que quelques gouvernements nationaux et locaux, à l’instar du Royaume-Uni, ont également fait un pas dans ce sens.

Difficile pour l’instant de mesurer l’impact qu’aura cette directive mais l’enjeu est de taille. Des acteurs européens de l’ESS et des membres du Comité économique et social européen ont demandé à la Commission de mener une étude dès 2018 sur l’application et l’intégration de clauses de réserve pour les organisations de l’ESS, ainsi que sur l’introduction de considération sociales et environnementales dans la législation. Rendez-vous donc en 2018 pour dresser un bilan de toutes ces nouveautés.

¹ Information basée sur une réunion des experts gouvernementaux sur les marchés publics le 8 mars 2016.

² Voir d’autres cas de bonnes pratiques dans le guide de la Commission « Acheter social » (2011).

Sur le même sujet

Actualité
12/10/2020

Act 4 Social EU, la coalition à suivre des acteurs de protections sociale et solidaire

Alors que la Commission européenne a lancé la consultation sur le Socle européen des Droits sociaux, la...
Actualité
12/10/2020

De quel bois sera fait la branche autonomie

Le rapport de préfiguration de la branche autonomie remis au gouvernement mi-septembre pose le principe d’un périmètre...
Actualité
12/10/2020

"On ne peut pas faire l'économie de temps d'échange sur le travail et ses difficultés au sein des équipes"

Fait inédit, les Risques psychosociaux seraient la deuxième cause d’arrêt de travail, devant les troubles musculosquelettiques. Un renversement de la...
Actualité
12/10/2020

Deux ministres à la rencontre du Mouvement associatif

Le 25 septembre dernier, lors de son assemblée générale, Le Mouvement associatif a reçu Olivia Grégoire, secrétaire d’État en charge...
Actualité
12/10/2020

L'Adapéi du Doubs se dit prête, mais inquiète face à la nouvelle poussée de Covid 19

La montée des chiffres de la crise sanitaire place les associations du sanitaires et médico-sociales, telles que l’Adapéi du Doubs...
Actualité
12/10/2020

Chez Adéo, on ne dit plus manager mais coach

L’association havraise, active sur l’aide à domicile, la petite enfance et l’accompagnement social et familial a accéléré la mutation de...