Egalité femme/homme : l’économie sociale est féminisée mais toujours inégalitaire

17/03/2016
Actualité
Les femmes sont de plus en plus nombreuses dans les instances décisionnelles de l’ESS. Mais en déduire que l’ESS est plus égalitaire que le secteur privé classique serait toutefois illusoire. L’économie sociale et solidaire a toutefois tout intérêt à poursuivre dans cette lancée si elle veut assurer sa pérennité.

Les femmes représentent deux tiers de la force de travail de l’ESS en Europe. Mais cette surreprésentation des femmes garantit-elle pour autant que le secteur leur soit favorable ? Deux éléments factuels suffisent à rappeler pourquoi les femmes y sont si nombreuses : d’un côté, la spécialisation sectorielle des organisations de l’ESS porte sur des métiers traditionnellement féminins (action sociale, santé, enseignement) avec, a fortiori, un fort taux d’emploi à temps partiel ; de l’autre, l’ESS offre des perspectives de résistance et d’émancipation pour les femmes en revalorisant des compétences et savoirs banalisés dans le secteur privé classique. Les travaux de Saussey et Degavre sur le sujet soulignent que ces résistances se forment le plus souvent en réponse à un vécu professionnel marqué par des difficultés à trouver un emploi ou à se maintenir dans le secteur privé classique.

Des stéréotypes encore vivaces

Les études qualitatives conduites dans le cadre du projet Gender Balance Power Map confirment que la forte féminisation de l’ESS ne garantit pas pour autant une égalité réelle entre femmes et hommes. Dans l’ensemble des pays comparés (Belgique, Finlande, France, Italie, République tchèque, Roumanie), les petites entreprises sociales et classiques (moins de 65 salariés) présentent une même difficulté à offrir des outils de conciliation vie privée-vie professionnelle. Sans ces outils et en l’absence de politique interne d’égalité de genre, les stéréotypes continuent de se pratiquer inconsciemment en entreprise sociale comme en entreprise classique… Et d’entraver ainsi la participation des femmes, notamment aux plus hauts postes de décision des organisations.

Les contextes culturels et politiques en France et en Belgique valorisent, certes, l’accès des femmes aux postes à responsabilité (les deux États ont adopté une loi sur les quotas en 2011) contrairement à la République tchèque et la Roumanie où l’on constate une absence totale de considération pour les questions de genre. Mais les cultures nationales plus ou moins favorables à l’égalité des genres ne suffisent pas à contredire les rôles sociaux différenciés rappelés aux femmes et aux hommes dans toutes les strates de la société.

Des femmes payées 29% de moins

Révélateurs de ces discriminations encore latentes : les écarts de salaires. Là non plus, l’ESS ne fait pas exception. En Europe, les dirigeantes d’entreprise sociale gagnent en moyenne 29% de moins que leurs homologues masculins, d’après une étude de chercheurs de la London School of Economics. En France, l’écart de rémunération (-8% pour les femmes) est plus faible dans l’ESS que dans le secteur privé classique (-13%) mais la différence s’accroit à mesure que l’on monte dans la hiérarchie (-21% pour les cadres), d’après l’Observatoire national de l’ESS. Logiquement, c’est dans les coopératives et les mutuelles où la hiérarchie est plus verticale que se constatent les plus importantes différences de salaires (respectivement 15 et 25%) quand elles ne sont que de 6% dans les associations.

Un plafond de verre qui recule

À qui veut voir le verre à moitié plein, d’aucuns répondent que les femmes sont plus nombreuses à briser le fameux « plafond de verre » dans les entreprises sociales, en France tout du moins. On compte presque deux fois plus de femmes à la direction des entreprises sociales (27% en 2012) qu’à la tête des entreprises privées (14% en 2013). En l’absence de statistiques européennes, ce sont les recherches menées dans le cadre de projets européens qui permettent, là encore, de cerner les tendances à l’échelle du continent. Le projet SELUSI, dont les recherches portent sur cinq États membres (Espagne, Hongrie, Roumanie, Royaume-Uni, Suède), a permis d’estimer à 43% la part d’entreprises sociales gérées par des femmes ; elles sont même plus nombreuses que les hommes en Hongrie et en Roumanie. Les chiffres étonnent quand on sait que seul un tiers des entrepreneurs en Europe sont des femmes.

Sur le plan qualitatif, le projet confirme que les entreprises sociales dirigées par des femmes sont de la même taille et toutes aussi innovantes que celles des hommes. Seul point noir : les entreprises les plus anciennes – plus de 20 ans d’existence – sont à une large majorité (70%) gérées par des hommes. Les travaux complémentaires menés par le Lobby européen des femmes dans le cadre du projet WEstart apportent des pistes d’explication : en effet, si les femmes sont presque aussi nombreuses à entreprendre, elles ne connaissent pas le même parcours. Outre le difficile accès aux financements, le manque de temps et les responsabilités familiales constituent, pour les femmes, des entraves majeures à la bonne réalisation d’un projet d’entrepreneuriat social. Des obstacles qui, une fois l’entreprise créée, continuent d’entraver la participation des femmes aux plus haut postes à responsabilité.

Une absence de soutiens politiques

Face à ces constats, le manque de soutiens politiques pour assurer l’égalité professionnelle dans les plus petites entreprises et dans l’économie sociale est criant. Alors que les PME composent la vaste majorité des employeurs sur le continent (99,8% des entreprises européennes en 2014), les politiques publiques adressent exclusivement la question de la participation des femmes aux conseils d’administration des sociétés cotées en bourse. Et le blocage du projet de directive européenne sur les quotas au Conseil européen n’a pas remis en question cette préférence pour les grands groupes.

En l’absence de cadre politique, il revient aux organisations elles-mêmes de se donner les moyens de cette égalité. Des programmes de gestion des talents à la certification des entreprises ayant mis en œuvre des mesures de conciliation vie privée-vie professionnelle en passant par de nouveaux modes d’organisation du travail, les outils sont nombreux mais les échanges de bonnes pratiques d’un secteur à l’autre sont rares. Les partenaires du projet Gender Balance Power Map ont donc souhaité rassembler en un guide quelques mesures à disposition tant des entreprises sociales que des entreprises classiques pour favoriser la participation des femmes aux postes décisionnels.

Plus d’égalité dans une ESS en mutation

Alors que l’européanisation de l’économie sociale menace de diluer les principes fondateurs de l’ESS à la française, les organisations de terrain se doivent d’être garantes des valeurs démocratiques, humanistes et égalitaires qui sont les leurs. Les travaux récents démontrent que les femmes dirigeantes de l’économie sociale sont plus satisfaites au travail et plus enclines à adopter des pratiques de management participatives. L’ESS a donc tout à gagner à assurer la participation des femmes : outre sa crédibilité, c’est son modèle social, participatif et inclusif qui est en jeu.

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