Entreprise et intérêt général : inquiétudes sur l’émergence d’une entreprise sociale « light »

15/02/2018
Actualité
Evolution de la définition de l’entreprise dans le Code civil, création de nouveaux statuts d’entreprises à responsabilité élargie… le rapport  » Entreprise et intérêt général  » de Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard est attendu pour début mars. Le Fil Cides décode ce qui s’annonce et les impacts pour les structures de l’ESS.

 

 

Réviser le statut de l’entreprise dans notre société au regard des enjeux écologiques et sociaux… voilà un débat que l’ESS ne peut refuser. Le dossier a été confié aux deux rapporteurs le 5 janvier et le résultat de leur travail devrait être remis aux ministres concernés (quatre, rien que ça !) début mars. Leurs conclusions devraient être lues attentivement par les acteurs de l’économie sociale et solidaire avec une bonne dose de vigilance car, si le débat est souhaitable, beaucoup, dont Hugues Sibille, le président du Labo de l’ESS craignent qu’il débouche sur des solutions venant affaiblir la proposition économique et sociale de l’ESS. Voici le contexte et les enjeux : Code civil, entreprise à mission, fondation actionnaire…

Entreprise et intérêt général, une pièce du PACTE

En même temps que Bruno Le Maire lançait les consultations (par Internet notamment) sur le Plan d’actions pour la croissance et la transformation de l’entreprise (PACTE), le ministre de l’Economie confiait, en compagnie de ses collègues de la Transition écologique, Nicolas Hulot, du Travail, Muriel Pénicaud et de la Justice, Nicole Belloubet, une mission à Nicole Notat (Vigéo) et Jean-Dominique Sénard (Michelin), sur le thème  » Entreprise et intérêt général « . A l’heure de la publication de notre article, les consultations sont quasiment achevées et le rapport devrait être rendu début mars. Plusieurs responsables de l’ESS ont été reçus tels que Hugues Vidor (président de l’Udes) ou encore Hugues Sibille. Le Mouvement associatif devait aussi être reçu en compagnie du Centre français des fondations (CFF), mais le Haut Conseil à la Vie associative (HCVA), malgré sa demande, ne le sera pas, bien que l’instance ait produit un rapport en 2016, relatif à l’intérêt général dans les associations.

Modifier le Code civil

L’une des options étudiées par la mission est d’élargir le rôle de l’entreprise tel qu’il est entendu dans le Code civil à des objectifs sociétaux. La responsabilité sociétale deviendrait alors un élément constitutif de l’entreprise à côté de la maximisation des profits. En l’état deux articles du Code civil encadrent l’entreprise. L’article 1832 qui définit les sociétés comme  » un contrat permettant à des personnes physiques ou morales d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie dans le but de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourrait en résulter », nous explique Thierry Guillois, avocat spécialiste de l’économie sociale et membre du HCVA. Autrement dit, l’entreprise est faite pour générer du profit selon le Code civil. L’article 1833 encadre lui le caractère licite de l’objet social de l’entreprise.

Tout le monde n’est pas d’accord pour réformer le Code civil, à commencer dans le gouvernement. Bruno Le Maire penche pour le statut quo et la promotion des engagements volontaires, contrairement à Nicolas Hulot qui estime que l’entreprise, aujourd’hui, ne peut s’affranchir de ses responsabilités. Côté société civile, le Medef est vent debout contre cette proposition et promeut les démarches volontaires en matière de RSE. Mais des proches d’Emmanuel Macron, comme Jean-Marc Borello, président du Groupe SOS, militent ardemment pour cette réforme. L’Udes qui regroupe les employeurs de l’ESS y est plutôt favorable. Thierry Guillois résume la situation pour l’ESS :  » si la puissance publique peut, par une réforme législative, encourager la prise de conscience par les sociétés commerciales de leur responsabilité sociétale on ne peut qu’être pour « . Mais l’avocat précise qu’il faut toutefois  » rester mesuré sur l’impact d’une telle réforme: l’ajout de la dimension sociétale à l’article 1832 ou à l’article 1833 et la réforme risque de demeurer dans l’ordre du symbole « .

Société à objet social élargi : l’entreprise sociale light ?

On l’appelle entreprise à missions ou société à objet social élargi (Sose) selon les lieux et les personnes. Le concept est défendu par certains grands patrons comme Emmanuel Faber (Danone) ou Antoine Frérot (Véolia) mais il est le principal point de crispation pour nombre d’acteurs de l’ESS.

La Plateforme nationale de concertation RSE (instance de concertation qui regroupe entreprises, ONG, organisations syndicales), présente la société à responsabilité élargie comme suit :

– elle revendique de porter, au-delà de la fourniture de biens et de services, une mission à dimension sociale, sociétale ou environnementale ;
– les dirigeants sont en capacité de prendre des décisions pour répondre à cette mission, qu’elles soient en accord ou non avec les intérêts financiers à court terme des actionnaires ;
– Elle expérimente de nouvelles formes de gouvernance, plus ouvertes (…) pour aboutir à une finalité de l’entreprise qui n’est plus orientée par les intérêts de ses seuls actionnaires.

Hugues Sibille explique au Fil Cides qu’il y a, avec la Sose  » un risque d’affadissement de l’ESS « . Et l’avocat Thierry Guillois questionne :  » les entreprises solidaires d’utilité sociale (ESUS) dont le cadre a été fixé par la loi du 31 juillet 2014, ne répondent pas déjà à cette objectif ?  »

Quant à l’avis de la Plateforme RSE publié le 5 février, il exprime une position ambivalente, malgré une faible représentation de l’ESS en son sein. Il y est recommandé d’étudier la possibilité de créer un tel statut, tout en ajoutant :  » Il convient de prendre en compte dans les réflexions sur l’engagement sociétal des entreprises, les possibilités déjà ouvertes par la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire.  »

Fondation actionnaire kesako ?

Une autre proposition qui est dans les tuyaux du PACTE est la création d’un statut de fondation actionnaire soit un huitième statut de fondation destiné à sécuriser l’intégrité d’une entreprise. Imaginez un entrepreneur. Il veut assurer la pérennité de son entreprise et qu’elle ne va pas passer de main en main ou de fonds de pension en fonds de pension. Il décide donc d’apporter ses actions à une fondation, qui devient l’actionnaire de l’entreprise. Par ailleurs, il décide que cette fondation aura vocation à distribuer ses résultats non pas à l’entreprise concernée mais à des activités d’intérêt général. Thierry Guillois  » n’y est pas foncièrement opposé mais s’interroge sur la capacité de celle-ci a être reconnue d’utilité publique.  »

Rendez-vous début mars pour analyser ce que dit le rapport Notat/Sénard.

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