Fatima Bellaredj, directrice de l’Union régionale des Scop de Languedoc-Roussillon et initiatrice du réseau de quatre incubateurs d’innovation sociale Alter’Incub. Elle réagit suite à l’interview de Martine Pinville et Odile Kirchner sur la nécessité « d’augmenter la valeur ajoutée » des réseaux d’accompagnement de l’ESS.
Pensez-vous, à l’instar du secrétariat d’Etat à l’ESS que les porteurs de projets manquent d’accompagnement sur l’ingénierie financière ?
C’est l’une des problématiques, mais ce n’est pas la plus importante pour des incubateurs comme Alter’Incub ou pour une pépinière.
Une des clés des projets innovants, c’est de ne pas traîner en longueur durant la phase de recherche et développement afin que l’idée ne soit pas reprise par d’autres. C’est ce qu’on appelle la phase d’accélération. L’innovation sociale ne bénéficie pas de la même protection intellectuelle que l’innovation technologique par exemple. La meilleure protection dans l’innovation sociale c’est sa longueur d’avance. C’est pourquoi nous travaillons beaucoup le co accompagnement afin de chercher ailleurs les compétences que nous n’aurions pas en tant qu’incubateur généraliste. Par exemple, si un porteur de projet ESS souhaite faire travailler des personnes en insertion, nous creusons la piste en le faisant avec la fédération des entreprises d’insertion. Si une entreprise sociale développe une dimension technologique en plus de son innovation sociale, nous allons l’orienter vers une pépinière ou un incubateur technologique.
En Languedoc-Roussillon, mais aussi en Rhône-Alpes ou Midi-Pyrénées, nous travaillons beaucoup à ce décloisonnement de l’accompagnement. J’ai bien conscience que nous le pouvons car nous disposons d’un écosystème de l’innovation très organisé au sein du réseau Synersu qui travaille l’innovation dans un sens élargi. En tant que directrice de l’UR Scop, je le préside depuis 2013 ce qui manifeste la volonté de faire une vraie place à d’autres innovations que l’innovation technologique. Je souligne d’ailleurs que, faire partie de l’ESS, se revendiquer de ces valeurs, est un vrai plus pour nos interlocuteurs de l’accompagnement conventionnel avec qui nous partageons des valeurs communes comme la création et la localisation de l’emploi. Après, les ambitions ne sont pas toujours les mêmes. Quand vous avez des structures habituées à accompagner des startups dont l’objectif est de faire la culbute dans cinq ans en revendant leur entreprise, il y a de vraies divergences. Mais il faut savoir l’accepter et le discuter.
Dans le milieu de l’ESS, de nombreux acteurs de l’accompagnement existent sur les territoires, les uns pour l’émergence, les autres pour la création, d’autres encore s’investissent sur le développement… cet écosystème fonctionne-t-il suffisamment bien ?
Je pense que les acteurs de l’ESS ne travaillent pas suffisamment ensemble. Il y a quelque chose qui m’a longtemps surpris… Les projets qui nous arrivaient étaient adressés soit par les acteurs de l’innovation classique, soit via nos réunions d’information collective de l’Union régionale des Scop. La raison est double. D’abord, les réseaux de l’innovation ont cette culture d’orienter les porteurs de projets vers celui qui l’accompagnera le mieux. Ensuite il y a une question de concurrence. Dans l’ESS on pense trop souvent qu’on peut répondre seul à toutes les demandes. Il y a une vraie responsabilité des politiques publiques à réguler cette concurrence qui est destructrice.
Un acteur de l’ESS qui voit varier les financements et les soutiens va chercher à être offensif et compenser cette insécurité en allant sur les plates-bandes des autres. Il y a une préoccupation de la sauvegarde de l’emploi interne qui est bien légitime. Par conséquent, le seul régulateur valable c’est celui qui finance.
Quels sont les grands atouts des réseaux d’accompagnement de l’ESS?
La principale plus-value est leur technicité. L’accompagnement est un métier très technique pour une bonne partie du travail, même si l’écoute est primordiale pour ne pas passer à côté d’une innovation que l’on mettrait trop vite de côté sous prétexte qu’elle n’est pas viable.
Il y a ceux qui ont la compétence métiers – je pense à tout ce qui est entreprise d’insertion, entreprise adaptée, aux Scop, aux boutiques de gestion – qui permettent la transformation d’un projet apporté par une équipe en entreprise. Là-dessus, nous avons un métier dont nous n’avons absolument pas à rougir, au contraire, vis-à-vis des chargés d’affaires des organismes consulaires ou chez des spécialistes comme les pépinières.
La compétence d’animation territoriale, est aussi un vrai plus, si elle débouche sur une bonne orientation des projets ! Mais si les projets ne sont pas réorientés parce que ces acteurs de l’émergence pensent qu’ils pourront tout faire, on se met le doigt dans l’œil. Il est très important d’attribuer un référentiel métier à chaque type d’acteur car dans le cas contraire on fait perdre un temps précieux aux porteurs de projets qui risquent de disparaître avec leur idée.