Anne-Laurence Petel, députée LREM et Sarah El Haïry, députée Modem, coprésidentes du Groupe d’étude ESS à l’Assemblée nationale, lancent le débat sur le projet de loi PACTE, premier texte dont le groupe d’étude a à se saisir.
Fil Cides : A quoi sert le Groupe d’étude ESS à l’Assemblée nationale ?
Sarah El Haïry : Un groupe d’étude c’est d’abord un lieu de travail, d’échange, transpartisan où se réunissent des députés pour travailler sur un sujet commun. Et celui qui nous intéresse c’est l’économie sociale et solidaire. Donc vous avez dans le cœur de chacun de ces députés, si ce n’est de l’affection, au moins de l’intérêt pour les familles de l’ESS.
Anne-Laurence Petel : J’ajouterai que d’autres groupes d’études s’intéressent à l’ESS comme celui sur l’insertion par l’activité économique, sur la vie associative, le bénévolat et d’autres encore. C’est un sujet qui intéresse énormément de parlementaires ce qui est plutôt encourageant.
Vos premiers échanges ont-ils été l’occasion d’envisager un programme de travail ?
A.L. Petel : Nous sommes encore en construction, mais notre volonté est de travailler collectivement et donc de ne pas décider, nous seules, de ce que l’on va faire de ce groupe d’étude. Dans l’immédiat, nous avions convenu de faire des auditions afin d’amender la loi PACTE.
Quels pourraient être ces amendements ?
A.L. Petel : Nous n’y sommes pas encore, mais pour autant je crois que la loi PACTE n’ouvre pas assez le champ à l’économie sociale…
S. El Haïry : Ou trop…
Il y a déjà débat…
S. El Haïry : Oui, parce que nous sommes un groupe transpartisan. L’important est d’avoir ce temps de travail sur la loi PACTE. Il y aura peut-être des amendements de groupe, je le souhaite, car cela voudra dire qu’ils font consensus. Et il y en aura sûrement d’autres qui seront plus spécifiques à chaque groupe parlementaire.
Christophe Itier est aussi venu nous présenter sa feuille de mission sur l’ESS avec un zoom sur le french impact qui est une vraie innovation par sa conception et par la méthodologie qui a été choisie. Le French impact a vraiment vocation à faire rayonner l’ESS et ses valeurs.
Qu’est-ce qui vous a conduit à être chacune coprésidente du groupe d’étude ?
S. El Haïry : Je suis une militante historique du monde des Scop en particulier et de l’ESS en général. J’ai quitté une entreprise classique pour rejoindre un groupe coopératif (le groupe Up, ndlr) car c’était l’ensemble de la gouvernance et des valeurs qu’il portait qui m’intéressait. Ayant vécu la loi Hamon en 2014 avec palpitation mais à distance, il était évident pour moi, en tant que députée, de rejoindre ce groupe d’étude. Cette coprésidence est à l’image de la coconstruction que nous appelons de nos vœux dans toutes les familles de l’ESS. Nous sommes deux femmes, de deux générations et de deux groupes politiques différents, mais d’une seule majorité. Que de bons présages…
A.L. Petel : Contrairement à ma collègue, je ne viens pas de l’ESS. J’ai grandi depuis 15 ans dans le privé, dans un grand groupe de BTP et de télécom. Mais j’ai toujours été investie en tant que bénévole, trésorière dans des associations ou des fondations. Quand j’ai vu que le gouvernement avait une politique volontariste, je me suis naturellement intéressée au sujet et j’ai rencontré Christophe Itier pour travailler avec lui.
C’est très intéressant que nous n’ayons pas le même parcours et du même coup des regards différents. C’est ce qui fait que sur la loi PACTE, nous ayons des regards différents. Je comprends les craintes sur l’entreprise à mission, mais cette ouverture m’intéresse parce qu’elle incite les entreprise du privé à porter d’autres modèles que ceux de la seule lucrativité et du bénéfice. Il faut aller au devant de ces projets de façon à faire évoluer l’entreprise.
De la loi Hamon au French impact, voyez-vous une évolution générationnelle de l’ESS ?
A.L. Petel : Je pense que le changement générationnel n’est pas que dans l’ESS. Il y aura un changement générationnel puisqu’un tiers des dirigeants vont partir en retraite en quelques années, mais il y a aussi un changement de mentalité parmi des chefs d’entreprises de l’économie dite classique qui, à côté de leur activité principale, lancent leur association ou leur fond de dotation qui portent les valeurs de l’ESS. C’est un mouvement à accompagner pour que ce soit leur entreprise, elle-même, qui évolue vers d’autres valeurs.
La bataille des valeurs serait donc sur la bonne voie, mais, ne faut-il pas, aussi, préserver la singularité de l’ESS ?
S. El Haïry : Il faut défendre la singularité de l’ESS, tout en prêchant pour que ses valeurs deviennent les valeurs communes. L’ESS se définit par ses familles et ses statuts. Plus les entreprises s’engageront dans la responsabilité sociétale – la RSE pour utiliser le bon terme –plus elles pourront intégrer un ensemble de valeurs et mieux ce sera. Mais est-ce qu’il est nécessaire de moins bien définir les familles de l’ESS pour bien transmettre les valeurs ? C’est là où, effectivement, il y a débat.
Prenons l’agrément ESUS, dont certains souhaiteraient qu’il donne accès au mécénat. Selon moi, l’élargissement du mécénat aux ESUS qui fait l’objet de discussions, ne serait pas un bon signal. La générosité publique doit être exclusivement réservée au monde non-lucratif, ce qui exclue de fait la lucrativité raisonnée.
Dans quatre ans, à la fin de la mandature, quelle aura été la place de l’ESS dans la vie politique de cette assemblée ?
A.L. Petel : Nous allons bientôt parler loi de finance. Notre premier vœu commun est que l’ESS ait une vrai place dans le budget. Aujourd’hui, on la trouve dans le programme « Expertise, information géographique et météorologique »… Alors ça peut paraître anecdotique, mais ça ne l’est pas. Si dans quatre ans, le groupe d’étude, aux côté de Christophe Itier, contribue à ce que l’ESS, puisse parler d’égal à égal avec une entreprise de l’économie dite classique nous aurons peut-être gagné quelque chose…
S. El Haïry : Je viens d’une ESS qui performe. Le Groupe Up est le deuxième leader mondial face à deux mastodontes du monde financier. Et pourtant c’est né d’une utopie d’un délégué syndical qui s’est dit un jour, les salariés doivent mieux manger et il a créé le chèque déjeuner. C’est bien la preuve qu’on peut appartenir à l’ESS avec ses contraintes statutaires, sans que cela n’handicape la réussite économique, au contraire elle la stimule.
Toutefois, l’ESS dans sa globalité est diverse. Dans certaines familles, nous avons besoin d’argent public et c’est normal pour le monde associatif quand il vient répondre à des objectifs de cohésion du territoire, ou pour suppléer un service public défaillant. Ce n’est d’ailleurs pas un coût, c’est un investissement ! Ce que j’espère c’est que l’ESS soit demain à plus de 50 % de notre PIB, de notre croissance, de nos emplois.