« Les entreprises de l’ESS ne sont pas suffisamment prises en compte par Bercy »

24/04/2019
Actualité
Dominique Joseph, secrétaire générale de la Mutualité française, répond au Fil CIDES sur les grandes actualités : rapprochement des instances représentatives de l’ESS, le grand public et les mutuelles, projet de loi dépendance, l’innovation sociale…

Lors de l’Acte XIII des Gilets jaunes, une devanture de la Maif a été totalement dévastée à Paris à l’instar des banques voisines. La Maif n’est pas dans le giron de la Mutualité Française, mais n’est-ce pas révélateur d’un problème de lisibilité du modèle mutualiste ?

Ces trente dernières années, il y a eu un phénomène de banalisation des mutuelles. Deux raisons à cela. Tout d’abord, le recours à une mutuelle s’est normalisé avec la multiplication des besoins des Français en matière de protection sociale : couverture complémentaire santé, retraite, prévoyance…

Deuxième point. Cette normalisation a stimulé la concurrence venant du secteur lucratif, mais aussi de pôles de protection sociale. L’ANI et la généralisation de la complémentaire santé à tous les salariés ont été un facteur accélérant en changeant les conditions de cette concurrence. La bascule vers l’appel d’offre nous a fait rentrer dans une concurrence exacerbée où les principes de solidarité entre bien-portants et malades, notamment, se sont heurtés à une recherche du plus bas prix qui peut passer, chez certains concurrents, par la sélection des assurés. Enfin, il convient de noter que l’encadrement réglementaire très contraignant nous plonge de plus en plus dans ce champ concurrentiel.

Et, si des devantures ont été cassées, c’est bien parce que, dans le budget d’un ménage, il y a assimilation entre cotisations et prélèvements obligatoires, impôts et cotisations à sa mutuelle, assurance automobile et habitation… Ce sont des dépenses incontournables qui pèsent sur un pouvoir d’achat qui diminue.

Alors comment sortir de la banalisation ?

La campagne « Votre mutuelle est-elle une mutuelle ? » lancée début 2018 a eu un fort succès. C’était une campagne pour que les Français s’interrogent sur leur mutuelle et leur spécificité. On a eu de vrais résultats puisqu’on rappelait les principes de la mutuelle, son histoire, ses valeurs, ses principes : pas de sélection médicale, mutualisation des risques, une mutuelle ce n’est pas un capital à partager puisque nous n’avons pas d’actionnaire…

Et nous continuons à promouvoir leur non-lucrativité, la solidarité, la démocratie qui les incarnent…

Est-ce que l’ESS est une valeur ajoutée dans la stratégie de marque des mutuelles ?

Afficher qu’on est de l’ESS, c’est, d’abord, faire comprendre à nos concitoyens, qu’il y a, même en matière d’assurance auto, maison, santé, une alternative au tout libéral.

C’est le premier levier à actionner au moment où les Français sont très réceptifs à la notion de développement durable… qu’est-ce qui est plus durable que le fonctionnement d’une mutuelle ? On s’y engage à couvrir les risques sur des années.

Nous nous faisons l’écho, aussi, de la volonté des Français de participer davantage aux décisions puisque, dans une mutuelle, ce sont les assurés qui décident de la réponse qu’ils souhaitent apporter à leurs propres attentes.

Alors oui, l’ESS est beaucoup plus qu’un marqueur marketing. Mais pour qu’il soit vraiment efficace, il nous faut aussi gagner la reconnaissance de l’ESS et de ses acteurs par les pouvoirs publics. Et là, il y a un pas à franchir.

Précisément ?

L’ESS est une réalité : environ 10 % du PIB et de l’emploi en France. Malheureusement les entreprises de ce secteur ne sont pas suffisamment prises en compte à Bercy. Il n’y a pas de ministère de l’ESS, mais un Haut-commissaire auprès du ministère de la Transition écologique. C’est une négation de la part des pouvoirs publics d’une vraie place pour l’ESS, dès lors que c’est à Bercy que se décident les grandes orientations économiques.

Vous êtes trésorière d’ESS France qui conduit un projet de rapprochement des instances représentatives de l’ESS. Où en êtes-vous et que dit la Mutualité sur ce champ ?

Pour nous rendre plus visibles et lisibles auprès des pouvoirs publics et du grand public, nous envisageons un regroupement des instances prévues par la loi : le CNCRESS et ESS France. Nous avons des rendez-vous statutaires en juin et en fin d’année pour travailler sur les modalités de ce rapprochement, sachant que, dans l’ESS, la préparation de cette transition nécessite la prise en compte de tous les participants.

Et les territoires sont très importants. A Paris, la vision de l’ESS peut sembler éloignée de la réalité. Mais quand on va au plus près des territoires, les mutuelles et les associations sont reconnues et respectées, sollicitées même quand il s’agit de répondre aux besoins de la population. Il faut concilier cette réalité des territoires avec la reconnaissance à Paris. C’est un cercle vertueux à mettre en place avec des échanges qui partent du territoire vers Paris et vice et versa.

Est-ce que les mutuelles sont encore un acteur d’innovation face aux défis contemporains ?

Oui ! Les mutuelles sont des actrices de l’innovation sociale parce que nous avons un lien direct avec les adhérents et donc avec leurs besoins sociaux. Nous réconcilions l’offre et le besoin…

Un exemple : la première fois qu’une maternité propose l’accouchement sans douleur, c’est dans une clinique mutualiste qui décide de répondre, contre vents et marées, à la demande de femmes.

Durant la bataille pour l’IVG, les Mutuelles avaient prévu son remboursement avant même le vote de la loi Veil. Elles ont accompagné le combat jusqu’à anticiper les changements.

Et quand aujourd’hui, dans nos crèches, nous travaillons sur la parentalité, sur le développement cognitif des bébés, quelle que soit leur origine sociale, parce que tant de choses se jouent dans les trois premières années de vie, nous sommes dans l’innovation sociale…

Sur le champ de la dépendance, le Rapport Libault repousse l’idée d’une solution assurantielle obligatoire complémentaire. C’était pourtant une proposition de la Mutualité française…

Nous nous sommes félicités, de trouver dans le rapport, le constat d’urgence et la juste estimation des moyens financiers (environ 10 milliards d’euros par an d’ici 2030) pour répondre à l’enjeu du grand-âge et de l’autonomie. Et nous avons affirmé aussi, comme Dominique Libault, que sans une solidarité nationale forte, on ne pourrait pas répondre à l’enjeu.

En effet, notre proposition d’une solution assurantielle, en complément de financements publics renforcés pour réduire encore le reste à charge n’a pas été retenue dans le rapport.

Mais le rapport Libault, ce n’est pas encore la loi. Nous continuons à dire que c’est une solution, parce que nous sommes convaincus que les financements publics ne seront pas suffisants pour réduire le reste à charge.

Il y a un choix politique à faire et ce n’est pas nous qui le ferons… Le président de la République et le Gouvernement repousseront-ils la solution assurantielle au motif que cela alourdirait le poids des dépenses incontournables qui pèsent sur les ménages ? Si tel est le cas, ils porteront la responsabilité des difficultés et des restes à charge élevés supportés par les plus démunis, leurs enfants ou leurs petits-enfants.

Dernière question à la présidente de Mut’Elles… Dans une interview publiée par le Fil CIDES, Sophie Binet constate un angle mort dans le panorama chiffré de l’égalité professionnelle : il n’y a aucune donnée sur les violences sexistes et sexuelles…

Le sujet fondamental sur ce dossier, ce sont les données. Que ce soit dans l’ESS, mais plus généralement dans notre société, nous n’avons pas encore de banque de données fiables recensant les cas de violences sexistes, qu’elles soient conjugales ou professionnelles. En l’absence de données, il est difficile d’objectiver un phénomène et de se fixer des objectifs pour l’endiguer.
Cela nous manque dans tous les combats féministes. Parité, égalité salariale, santé des Femmes mais aussi sur les violences sexistes et sexuelles.

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