Alors que le rapport Notat Sénard est remis au gouvernement le 9 mars, les représentants de l’ESS ont tous exprimé leur refus, plus ou moins policé, de voir naître l’entreprise à mission. Ce débat révèle avec acuité les enjeux financiers, fiscaux, mais aussi d’identité pour les entreprises de l’ESS.
Définitivement c’est non ! A la veille de la remise du rapport Notat Sénard, tout ce que l’ESS compte de représentants s’est exprimé et l’avis est quasiment unanime. D’une tribune dans Les Echos où l’on retrouve associés l’Udes, le Mouves, le Labo de l’ESS et le dirigeant du groupe Ares, ancien candidat à la députation sous l’étiquette En Marche !, à ESS France qui a organisé une conférence de consensus avant de se prononcer… de Coop_fr (représentation de l’ensemble de la coopération économique) au Centre des Jeunes dirigeants de l’économie sociale (CJDES), la conclusion est identique : ils refusent qu’un statut d’entreprise à mission, autrement appelée société à objet social étendu, permette aux entreprise de capitaux de déborder sur les plates bandes de l’ESS pourtant bien bordées depuis la loi du 31 juillet 2014 : « elle ne doit ni être confondue ni perturber le cadre juridique et financier du coeur de l’entrepreneuriat d’intérêt général que sont les entreprises sociales et solidaires », martèle les auteurs de la tribune dans Les Echos.
Attirer les investisseurs privés
Si l’entreprise à mission voit le jour, la principale menace qu’elle représente à court terme pour l’ESS sera sa capacité à attirer les fonds de l’impact investing (capital risque orienté vers les entreprises valorisant l’impact sociétal de leur activité), voire de la finance solidaire (placements financiers répondant aux critères du label Finansol) et donc les détourner des entreprises sociales et solidaires. La concurrence sera d’autant plus rude pour l’ESS que, à l’instar du label BCorp (voir L’objet social étendu, une réalité européenne) qui est aujourd’hui utilisé dans une cinquantaine de pays, la question de l’évaluation de l’impact semble progresser plus vite dans le secteur privé que dans l’ESS.
Fluidifier et dynamiser les circuits de financement
De ce premier enjeu découle le deuxième : disposer d’un écosystème financier, fiscal et réglementaire permettant à l’ESS de répondre à toutes les configurations de l’entreprise que ce soit la création, le développement interne, externe ou encore le sauvetage de structures en difficulté. Dans son interview accordée au Fil Cides, Emery Jacquillat PDG de la Camif depuis 2009, raconte pourquoi la renaissance de cet emblème déchu de l’ESS et de l’entrepreneuriat coopératif n’a pu se faire via les circuits de l’ESS : « En 2009, nous n’avions pas le temps de nous poser la question d’une relance en coopérative. Il fallait relancer l’activité au plus vite et regagner la confiance des parties prenantes ». Ce n’est qu’après la recapitalisation et la reconquête des fondamentaux commerciaux et marketing que l’entreprise a pu asseoir son identité sociale et environnementale mais en s’appuyant, notamment, sur le fameux label BCorp.
Une arme anti-OPA ?
Le débat sur une fiscalité incitative ne semble pas pour l’heure l’enjeu des promoteurs des entreprises à mission. Ces derniers que sont les patrons de Danone, Veolia ou encore Nature & Découvertes et la Camif voient surtout dans ce statut l’opportunité de pérenniser une démarche RSE et de se protéger d’OPA trop agressives ou court-termistes menées par des fonds spéculatif. En effet, en établissant un objet social élargi qui engage l’actionnaire, l’entreprise à mission devrait générer un effet repoussoir pour des investisseurs uniquement attirés par une plus value facile et garantir la continuité de l’objet malgré un changement d’actionnaire ou de dirigeant.
Quelles frontières pour l’intérêt général ?
Mais cette question de la fiscalité ne manquera pas de se poser et il en sera peut-être question dans le rapport «Entreprise et intérêt général ». Dès lors que l’ESS réclame un cadre fiscal spécifique aux vues de sa contribution à l’intérêt général, pourquoi les utilisateurs de ce nouveau statut ne pourraient pas en réclamer le bénéfice ? La problématique est déjà posée dans certains secteurs de l’économie verte. Par exemple, les producteurs en agriculture biologique demandent une reconnaissance des services rendus à l’environnement (assainissement des terres et des nappes phréatiques, par exemple) pour contre balancer la fin progressive des aides au maintien de leur mode de production.
En définitive, si la loi PACTE valide ce nouveau statut (société à objet social élargi – SOSE – ou entreprise à mission en fonction du nom choisi) dans le droit commercial français c’est le cadre de l’entreprise de l’ESS institué par la loi du 31 juillet 2014 qui sera fragilisé, selon ses acteurs. Conscient du danger, ESS France estime qu’une SOSE ne devrait pouvoir prétendre « à aucun avantage fiscal et financier ». Mais il ne suffira pas de le dire et les instances de l’ESS auront à structurer leur mobilisation qui devra toucher autant le plaidoyer auprès des pouvoirs publics que les investisseurs et les citoyens. Le fameux langage de la preuve érigé en priorité à l’époque des Etats généraux de l’ESS en 2011 reste la clé de voûte aujourd’hui de l’édifice ESS.