Philippe Croizon : « Demander de l’aide, ce n’est pas un déshonneur »

01/10/2019
Actualité
Philippe Croizon, multi amputé après un accident, a traversé la Manche et relié les cinq continents à la nage, avant de faire le Dakar. Il viendra témoigner lors du Forum national des associations sur l’importance du collectif, le rôle des associations en compagnie du directeur du centre de rééducation mutualiste de Kerpape où il a réappris l’autonomie. Interview.

Quel message souhaitez-vous faire passer le 16 octobre au forum national des associations ?

Le maître mot c’est le partage. Sans le partage, je ne me serais jamais sorti de cet accident, sans les équipes, que ce soit les pompiers, le Samu, l’hôpital, la rééducation et bien sûr ma famille et mes amis qui ont fait une chose extraordinaire. Ils m’ont offert mon autonomie en créant une association. Grâce à eux j’ai une voiture où je suis 100 % autonome, j’ai une salle de bain où je suis autonome. J’ai pu redémarrer une nouvelle vie grâce à eux et à cette association.

Dans ma conférence j’explique mon parcours de vie, l’accident, la reconstruction, mes outils de résilience et après comment j’ai pu atteindre un objectif dont 99 % des gens disaient « C’est pas possible, tu ne peux pas traverser la Manche à la nage ! T’as pas de bras et pas de jambe ! » On a montré à ces 99 % de pessimistes, malheureusement en France, que tout était jouable avec une bonne équipe et en créant une association pour mener des aventures comme celle-ci.

Dans votre parcours qui a fait de vous une figure du sport extrême, de la résilience, qu’est-ce qui relève de l’être que vous êtes – l’individu – et qu’est-ce qui relève du collectif ?

C’est difficile de dissocier les deux. Je rappelle souvent que je suis un vrai fainéant ! C’est la confiance d’une équipe qui va me booster et me mener au bout… Des gens ont cru en moi. A partir de là, je ne peux plus m’arrêter.

Effectivement, il y avait mon énergie qui était là, et cette énergie je la dois à ma grand-mère qui m’a élevé et qui, après mon accident, m’a offert une nouvelle fois son énergie. Il y a un temps pour pleurer, un temps pour crier et un temps pour se relever et dire OK, je reprends ma vie en main ! Bon, pour moi c’est difficile de la reprendre en main parce je n’en ai plus… Mais voilà, je l’ai fait !

Mais vous savez, quand on y croit soi-même, c’est plus facile de convaincre les autres aussi. Beaucoup trop de gens ont des rêves et des envies, mais vont se poser les mauvaises questions pour ne pas y aller. Qu’est-ce que je risque ? Qu’est-ce que les gens vont dire ? Dès qu’on se pose ces questions, c’est fini. Ils n’iront pas. Y croire soi-même permet d’enclencher la force de convaincre les gens de faire des trucs complètement dingues.

Vous dialoguerez avec M. Bonaventur qui dirige le centre mutualiste de rééducation de Kerpape en Bretagne. Pourquoi ?

Je ne ne suis resté que que trois semaines à Kerpape en 1996. Et j’y ai plus appris en autonomie que durant 18 mois de rééducation à Paris. M. Bunel qui tenait le centre à l’époque a été mon mentor au sens où il a changé mon regard. J’avais peur et honte de mon nouveau schéma corporel. Je ne savais pas comment affronter le monde extérieur. Et ce monsieur m’a ouvert les yeux. Après trois semaines, j’étais capable de pisser tout seul, de manger seul et j’ai repassé mon permis.

Un jour, face à moi, il y avait une porte sur laquelle était écrit « INTERDIT ». M. Bunel m’a dit de l’ouvrir. Je lui demande pourquoi et il me répond « parce-que, maintenant, rien n’est interdit pour toi, fais ce que tu veux, tente ta chance ! » Et surtout, il m’a dit, « n’attends pas que les gens viennent vers toi, parce que tu vas attendre longtemps. Va les chercher ! Demander de l’aide, ce n’est pas un déshonneur, c’est un moment de partage… » Kerpape, c’est la Rolls-Royce des centres de rééducation.

Ce sont les mots d’un homme qui change une vie ?

Il y a les mots d’un homme qui vous réveille avec une gifle monumentale et il y a l’équipe. J’avais un emploi du temps de ouf ! Et quand j’arrivais à un rendez-vous avec deux minutes de retard, on me disait « merci d’être venu, au-revoir… La prochaine fois que tu as un rendez-vous, tu viens à l’heure. Parce que ça veut dire que tu es prêt à t’investir et à redémarrer une nouvelle vie. » C’est des valeurs de dingue aussi !

Votre compagne, Suzanna, a publié Ma vie pour deux  qui raconte la souffrance et l’isolement de l’aidante qu’elle a été. Est-ce que cela suscite chez vous aujourd’hui une réflexion sur la manière dont la solidarité doit s’organiser autour des aidants et, plus globalement, de la prise en charge de la dépendance ?

On vit une petite révolution, mais aujourd’hui, on est juste au début de la possibilité d’aider les aidants. C’est assez incroyable quand on sait que l’espérance de vie d’un aidant est inférieure de 15 ans à la moyenne nationale. Un aidant se fatigue à 1000 % par amour de son proche, que ce soit un enfant, un senior ou quelqu’un qui vient d’entrer dans la maladie ou le handicap. Ces gens ne sont pas préparés à ça. Et même l’aidé ne se rend pas compte de ce que fait l’aidant.

Dans votre cas, vous rencontrez votre compagne après l’accident. A-t-elle, contrairement à un parent qui s’occupe d’un proche, choisi d’être aidante ?

Elle est tombée amoureuse d’un personnage il y a quatorze ans, mais elle n’imaginait pas qu’elle deviendrait une aidante. Elle le faisait par amour, tout simplement. C’est en écrivant le livre qu’elle a réalisé qu’elle était une aidante. Sa souffrance de l’aidant c’est quand quelqu’un vient la voir et la première question est de savoir comment va Philippe… Ça a été terrible pour elle. Elle a tout donné pour qu’on atteigne nos objectifs, mais derrière, elle n’existe pour personne… Ce livre a été salvateur pour elle et pour notre couple parce qu’elle ne savait plus qui elle était.

Quand on est un aidé, ça devient tellement naturel qu’on en demande toujours un peu plus à l’aidante sans se rendre compte qu’on est en train de la griller à petit feu. Aujourd’hui, elle récupère, elle prend soin d’elle, elle s’occupe de ses problèmes de cœur, de son surpoids, elle soigne ses dents ! Elle a repris sa vie en main, elle aussi, de son côté !

Il y a un vrai besoin de reconnaissance quand quelqu’un donne sa vie comme ça ! Sans les aidants, la France sera un peu dans la merde aujourd’hui… On ne demande pas à ce qu’ils aient un salaire, mais qu’ils aient un statut et qu’ils existent.

 

Pour bénéficier d’une inscription gratuite au FNAF et assister à la conférence de Philippe Croizon, envoyez un courriel à communication@chorum.fr

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