Pour Jérôme Schatzman il faut d’abord huiler l’écosystème de l’innovation sociale

06/07/2020
Actualité
C’est à Jérôme Schatzman, directeur exécutif de la Chaire Innovation et entrepreneuriat social de l’ESSEC, que Christophe Itier, Haut-Commissaire à l’ESS et l’innovation sociale a confié la mission de coordonner la réalisation du Rapport sur le financement de l’innovation sociale. Interview.

Fil CIDES : De quel mal souffre l’innovation sociale en France ?

Jérôme Schatzman : En ce qui concerne les enjeux de financement, le handicap principal de l’innovation sociale est qu’elle n’est pas perçue comme un facteur de compétitivité. L’Etat français investit sept milliards en crédit impôt recherche (CIR) chaque année sur l’innovation technologique parce que tout le monde est d’accord pour dire que c’est très important pour le pays. Cela fait gagner des marchés et cela créer de la richesse. Mais on ne se dit pas collectivement que l’innovation sociale est très importante aussi, tant pour des raisons économiques que sociales ou environnementales.

Qu’est-ce qu’il faut garder de la singularité de l’innovation sociale ?

Il faut d’abord en préserver la définition telle qu’écrite dans la loi du 31 juillet 2014. Ensuite, nous avons un écosystème qui est bien fourni avec une foultitude d’expérimentations, mais aussi des nombreux financeurs. La question est de savoir si la rencontre s’opère bien entre les porteurs d’innovation sociale et les financements.

Ce n’est pas tout le temps le cas, d’abord, parce qu’ils ne se connaissent pas toujours. Ensuite parce qu’ils ne parlent pas nécessairement le même langage. C’est pour cela que le rapport insiste pour mettre le paquet sur la mesure d’impact social. C’est une manière de créer du langage commun et de parler « retour sur investissement » pour les gens qui financent. Même sans ajouter d’argent, beaucoup de choses sont possible. Mais il faut huiler le système.

Si les gens se forment et apprennent à utiliser des outils existants comme les marchés innovants pour les collectivités territoriales, les fonds européens, cela fonctionnera mieux sans avoir à créer de nouvelles lignes de financement.
Par contre il faut aussi apprendre à monter des vrais projets de recherche et développement. Beaucoup de gens font de l’expérimentation. Quelques-uns font de l’innovation qui répond à un certain nombre de codes. Mais très peu font de la recherche parce que c’est une démarche scientifique qui n’est pas très diffusée dans notre monde. Toute la question est de garder cette énergie que nous mettons dans les expérimentations pour la transférer sur de la production de connaissances.

Le rapport insiste sur la montée en compétence, la professionnalisation, la structuration de l’organisation de travail pour faire de la R&D sociale. Est-ce qu’il faut y voir là, la proposition d’une nouvelle orientation du Dispositif local d’accompagnement sur l’innovation sociale ?

Ce n’est pas l’idée. Nous proposons notamment de financer l’embauche de 100 postes de cadres de gestion par an pour les associations. Ce n’est pas de l’accompagnement comme le propose le DLA. L’objectif est que des associations puissent embaucher des DRH, des directeurs administratifs et financiers et qu’elles puissent renforcer durablement leur organisation.
Les dispositifs de conseil comme le DLA restent toujours aussi utile. Et le DLA pourrait être utilisé notamment pour de la mesure d’impact social ou pour accompagner et former les gens sur le montage d’un projet de recherche. Mais le rapport ne l’a pas pensé comme ça.

Chaque proposition est chiffrée, mais rien sur la source de financement…

Nous avons souhaité mettre un montant devant chaque proposition. L’idée est que toute une série d’acteurs puissent s’emparer de ces propositions et les financer. l’État, bien sûr, qui pourrait en financer certaines via le plan de relance qui doit être présenté en septembre qui est en préparation. Le secteur privé peut jouer le jeu en mettant un ticket sur telle ou telle proposition. Ça peut être, aussi, les collectivités locales. Mais nous n’avons pas fait signer en bas de la feuille pour dire qui financera quoi…
Nous savons simplement que Christophe Itier souhaite inclure un certain nombre de propositions de ce rapport dans son plan de relance. Maintenant, il faudra attendre les arbitrages de Bercy…

Votre proposition d’un Crédit d’impôt sur la taxe sur les salaires (CITS) « Recherche » était déjà défendue par Christophe Itier à son arrivée. Est-ce imaginable que cette mesure se retrouve, malgré le contexte actuel, dans le projet de loi de finance en 2021 ?

Nous avons inclus le CITS Recherche dans les propositions parce que le décalage est évident avec les entreprises lucratives et le soutien à l’innovation technologique. Mais nous proposons aussi un Appel à manifestation d’intérêt (AMI) sur des projets de recherche, doté de 10 millions d’euros par an, réservé aux associations. Ce sera plus rapide à mettre en œuvre. Si l’AMI fonctionne, cela créera une jurisprudence et donnera des arguments pour pousser plus avant un CITS Recherche.

Vous évoquez le concept des « tiers-lieux recherche » comme un moyen parmi d’autres pour réduire les inégalités d’accès à un accompagnement. De quoi s’agit-il exactement ?

Nous voulons inviter des tiers-lieux à utiliser leur capacité à créer du lien pour connecter les expérimentateurs et les chercheurs autour de sujets recherches. C’est un modèle intéressant qui existe déjà à Poitiers, notamment, pour que l’expérimentation devienne recherche et donc innovation. L’idée n’est pas de créer de nouveaux lieux, mais d’inciter à développer une nouvelle activité dans des lieux existants.

Le rapport propose aussi de « faciliter la prise de risque de l’investisseur ». C’est-à-dire ?

L’idée est de créer ce qu’on appelle un système « Première perte » comme il en existe dans d’autres pays. Le principe est de mettre en place une forme de garantie qui rassure des investisseurs qui ne viendraient pas sur l’innovation sociale par méconnaissance. Le mécanisme est le suivant : sur un fonds de 20 millions d’euros, un investisseur public comme la Caisse des dépôts engage 6 millions d’euros. Les 14 autres millions viennent d’investisseurs privés. Si le fonds perd 5 millions, c’est la Caisse des dépôts qui les perd et pas les investisseurs privés. La garantie sur les premières pertes permet de créer un effet levier auprès des investisseurs qui viennent pour voir. Quand ils ont vu que cela pouvait fonctionner, ils reviennent d’eux-mêmes cette fois.

Beaucoup de propositions semblent se superposer à des outils existants ? On pense contrat à impact social quand vous parlez du fonds zéro perte. Ou encore aux PTCE et aux territoires French impact quand une proposition évoque la nécessité de promouvoir les démarches collectives et territoriales…

En ce qui concerne les CIS, le Rapport Lavenir traitait de la question, donc nous ne nous sommes pas occupés de cette question. D’autant que le fonds de paiement au résultat est en voie d’aboutir. D’ailleurs, notre système première perte est complémentaire avec le fonds de paiement au résultat .
Sur l’animation territoriale, il ne s’agit pas de réinventer quelque chose, mais de réaffirmer que la coopération territoriale est importante sur l’innovation sociale comme sur de nombreux autres sujets. Un territoire French impact peut très bien décider de travailler sur le financement de l’innovation sociale et faire ce travail de rencontre et de maillage entre acteurs. C’est déjà le cas d’ailleurs.

Quelles suites espérez-vous à ce rapport ?

Nous sommes attachées aux propositions puisque nous avons travaillé dessus, mais c’est au Haut-Commissaire à l’ESS de voir comment il veut les travailler dans son plan de relance. Cela signifie aussi que cela dépend des orientations qui seront celles du gouvernement après le remaniement.
Mais, comme je le disais, l’État n’est pas le seul à pouvoir reprendre à son compte ces propositions. Le secteur privé ou les collectivités peuvent s’en emparer…

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