Le magazine Santé & travail du dernier trimestre de l’année 2014 a interviewé Aida Ponce del Castillo, chercheuse à l’institut syndical européen. Elle décrit les risques que fait encourir le Traité transatlantique de libre échange (TTIP), en cours de négociation, sur les réglementations de la santé au travail.

Le risque de la primauté du coût/bénéfice

Aída Ponce Del Castillo : « Nous ne connaissons pas les textes de la négociation, car elle n’est pas ouverte au public ni aux partenaires sociaux. Néanmoins, on peut dire qu’il existe un danger. Les réglementations aux Etats-Unis et en Europe sont de nature différente. Nous avons 24 directives européennes sur la santé et la sécurité au travail, dont la seule finalité est d’obtenir la meilleure prévention possible. Aux Etats-Unis, c’est le rapport coût/bénéfice des règles en santé et sécurité qui détermine leur mise en oeuvre. Or cette logique risque d’être privilégiée dans la négociation.

Des différends au profit des entreprises

« Il faut aussi tirer les leçons du Nafta, accord de libre-échange nord-américain, où les entreprises ont le pouvoir d’engager un procès contre un Etat auprès d’un tribunal arbitral lorsqu’il établit des normes protectrices de la santé préjudiciables à leurs intérêts économiques. C’est ce que l’on appelle l’investor-State dispute settlement (ISDS), ou règlement d’un différend entre investisseur et Etat, prévu dans le traité. Suite au procès engagé par un industriel, le Canada a ainsi été obligé d’autoriser à nouveau un neurotoxique qu’il avait interdit.

Le principe de la « smart régulation »

« Un des objectifs du TTIP est de construire un marché transatlantique plus intégré. Cela implique que les parties se mettent d’accord sur un niveau de protection de la santé et de l’environnement. Et ce niveau sera certainement fixé via une évaluation de l’impact économique des règles en la matière, selon le principe de la smart regulation, ou réglementation intelligente. L’ensemble des règles européennes sur la santé et la sécurité au travail est menacé par cette évaluation, où l’analyse coût/bénéfice sera prédominante. De fait, les 24 directives européennes ont déjà été classées par les PME européennes comme un des dix actes législatifs les plus contraignants pour elles. Et la Commission européenne souhaite réduire ce type de contraintes « administratives » dans le cadre de son programme Regulatory Fitness and Performance (Refit), censé améliorer la performance et l’efficacité de la réglementation. Dans ce contexte, on risque d’avoir une harmonisation législative par le bas via le TTIP. C’est d’ailleurs prévu : les standards minimums de protection peuvent être diminués.

TTIP : la santé au travail doit être exclue

« Le processus de négociation du TTIP ne doit pas ouvrir la voie à la déréglementation. La coopération réglementaire ne doit pas aller vers le bas. Les Etats-Unis devraient ainsi ratifier l’ensemble des conventions de l’Organisation internationale du travail, ce qui n’est pas le cas. Bien entendu, l’ISDS et autres mécanismes similaires doivent être exclus du traité, car ils menacent la souveraineté des Etats et des principes directeurs importants concernant le fonctionnement de l’Union européenne, garantis par la Cour de justice européenne. Enfin, l’élaboration des règles en matière de santé et de sécurité au travail devrait être exclue du champ d’application du TTIP, ce qui pourrait être garanti par une déclaration claire des parties. »

Source : Santé & Travail n° 088 – octobre 2014