Stéphane Junique : « redevenir des acteurs utiles à la transformation de notre société »

10/09/2019
Actualité
Stéphane Junique, président d’Harmonie mutuelle, siège, au nom de la Mutualité française au Conseil économique, social et environnemental (Cese). Fin juin, le Cese adoptait l’Avis « Eradiquer la pauvreté à l’horizon 2030 » dont il a été le co-rapporteur. Il y a aborde les questions du revenu universel, la fiscalité des dons, le rôle de l’ESS… qui feront notre actualité ces prochains mois. Interview.

Quelles différences identifiez-vous entre le Revenu universel d’activité (RUA) qui sert de base à la concertation conduite par le gouvernement et le revenu minimum social garanti (RMSG) que vous préconisez dans l’Avis adopté par le Cese ?

Ils ont d’abord l’objectif commun de la simplification des minimas sociaux. Ce qui nous distingue c’est le périmètre. Pour que la protection des personnes en situation de grande pauvreté soit renforcée, nous proposons de regrouper sept des huit minimas existants dans le RMSG. Et à la différence des réflexions sur le RUA, nous n’intégrons ni les allocations logement, ni les allocations familiales, qui ne sont pas des minimas sociaux. Leur intégration ne permettrait pas de régler les difficultés des personnes en situation de grande pauvreté.
L’un des sujets du débat public actuel est de savoir s’il faut diminuer le montant de ces minimas sociaux. Notre option est inverse. En s’inscrivant dans la logique de simplification, nous souhaitons les conforter. Le RMSG est un socle minimum de droit commun, un droit attaché à la personne dès 18 ans. Son montant devra respecter un principe : que personne, en France, ne devrait vivre avec des ressources inférieures à la moitié du revenu médian (environ 846 euros en 2019, ndlr)

L’appel à diminuer le montant des minimas sociaux est directement lié au soupçon d’assistanat qui s’est amplifié. Comment abordez-vous cette question ?

C’est un marqueur de la défiance qui existe dans notre société. Une meilleure connaissance de la situation des non recours1 permettrait d’objectiver le débat. Rien qu’un exemple : aujourd’hui, entre 50 et 70 % des bénéficiaires potentiels de l’aide à la complémentaire santé n’en bénéficient pas. Il est temps de sortir cette simplification qui voudrait que toute personne en difficulté rechercherait ces aides sans viser à recouvrer la plénitude de ses droits fondamentaux. Il faut sortir de la logique d’allocation sociale pour aller vers une logique d’accompagnement social.

Note 1 : personnes ne percevant pas un minima ou une prestation sociale à laquelle elles peuvent prétendre, faute d’information, de connaissance ou en raison de la complexité de la procédure de souscription.

Au soupçon d’assistanat vous rétorquez la logique d’accompagnement…

Oui ! L’objectif n’est pas de conforter une démarche d’assistanat, mais de rendre effectifs les droits fondamentaux (logement, santé…) de la personne pour qu’elle retrouve intégrité et autonomie de vie.

Les personnes en situation de pauvreté ont participé aux débats du Cese. Qu’est-ce que ce rapport aurait de différent si cela n’avait pas été le cas ?

Notre avis aurait perdu en pertinence faute d’une parole vraie et de l’expertise de vie des personnes en situation de grande pauvreté. Ces échanges nous ont permis de mettre en évidence des sujets totalement sous-estimés. Par exemple, nous avons réalisé qu’au moment de la retraite, des personnes qui bénéficiaient des minimas sociaux subissaient une interruption du versement des aides (notamment le Revenu de solidarité active et l’Allocation adulte handicapé), avant même que le versement de la pension de retraite soit effectif.
Après le RMSG, la deuxième préconisation de notre Avis est de garantir une continuité des versements des minimas sociaux, en attendant l’effectivité de la pension retraite.

Vous préconisez d’ailleurs que tout texte de loi sur ces questions des inégalités et de la grande pauvreté, fasse l’objet d’une co-construction avec les concernés …Vœu pieu ?

On ne peut plus s’appuyer uniquement sur le pilier de la démocratie représentative pour cultiver notre vitalité démocratique. Nous poussons au maximum pour cette participation, non seulement pour que cette parole vraie soit mieux entendue, mais aussi parce que les taux de non-recours nous interrogent. Il faut pouvoir travailler ainsi dès la conception des dispositifs. L’objectif n’est pas que les aides soient utiles à une administration, elles doivent être utiles aux principaux concernés !

Vous défendez aussi dans cet Avis la fiscalité du mécénat. Mais rien sur l’évolution du financement associatif qui voit diminuer la subvention au profit de l’appel d’offres…

La préservation du mécénat était particulièrement importante car le débat public le réduit souvent à une niche fiscale, alors que ces dons sont des moyens vitaux pour la pérennité de l’action des acteurs associatifs.
Concernant la baisse des financements, nous l’avions évoquée en décembre dans l’Avis relatif aux personnes vivant dans la rue, pour dire que cette baisse était dangereuse. Mais toute préconisation qui dirait qu’il faut plus d’argent est, par principe, mise de côté par les pouvoirs publics.
J’ai défendu il y a un an la nécessité, dans notre pays, de renforcer les stratégies d’alliance autour des acteurs des solidarités actives. La lutte contre la pauvreté n’est pas seulement l’affaire de l’Etat, mais de l’ensemble des acteurs de la société. Et, plus que jamais, l’ESS est au cœur de cet objectif. Qui est au contact des personnes concernées, si ce n’est, en très grande majorité, des acteurs de l’ESS ?
Ils sont aussi des acteurs de transformation sociale en capacité de faire citoyenneté autour de ces enjeux. Nous sommes en capacité d’embarquer des citoyens capables de donner de leur temps et de leur énergie pour une cause. Le bénévolat est extrêmement précieux à ce titre !

L’élargissement du Compte engagement citoyen, que vous proposez dans cet Avis, est-il suffisant pour valoriser ce bénévolat ?

Malgré des chiffres globaux positifs, certains acteurs font les frais d’une crise des vocations. Le bénévolat mérite donc d’être conforté. C’est pourquoi nous proposons d’élargir le Compte d’engagement citoyen à tout bénévole qui s’investit au moins 200 heures par an dans des associations de solidarité, sans le limiter, comme à l’heure actuelle, aux seuls dirigeants associatifs bénévoles.
Dans cet Avis, nous abordons le bénévolat sous l’angle de la générosité, qu’il s’agisse du don de soi ou d’un don financier. Il est contradictoire que le don ne puisse être reconnu par l’Etat que pour les personnes qui paient l’impôt, alors qu’une foule de personnes modestes font aussi des dons d’argent. La générosité n’est pas que l’affaire des riches. C’est pourquoi nous préconisons un crédit d’impôt sur les dons pour que les foyers non imposables soient à égalité avec ceux qui paient des impôts.

Si l’on dépasse le propos strict de l’Avis,votre mutuelle a anticipé la mise en œuvre du reste à charge zéro (RAC Zéro). Coup marketing dans un univers de plus en plus concurrentiel, ou manifestation de ce rôle de l’ESS ?

Harmonie mutuelle a décidé d’anticiper le RAC Zéro parce que c’était une des rares libertés que nous laissait la réforme de décider du moment où on aurait envie de le faire. Refaire mutualité, c’est oser et ne pas se laisser enfermer dans des cadres réglementaires rigides où l’on perd notre liberté de définir les protections qui seraient utiles aux adhérents.
Je le dis en tant que dirigeant mutualiste. Nous avons été dans une forme de paresse partenariale entre acteurs de l’ESS. Même si c’est aussi le contexte qui l’a voulu, avec la nécessité de se concentrer sur la réorganisation de nos entreprises et la pérennité de notre modèle économique, nous devons, désormais, nous recentrer sur notre action : être des acteurs utiles à la transformation de notre société.
Au regard des enjeux de santé et de solidarité, nous aurons à construire des solutions et des stratégies d’alliances avec les acteurs des solidarités actives.

Vous évoquez-là la dimension politique de l’ESS…

Quand la Mutualité prend position sur la PMA elle fait en sorte d’être sur le long chemin de l’égalité des droits, mais aussi de l’émancipation des femmes. Et cette approche sociétale doit être confortée par l’action : le remboursement et l’accompagnement.
C’est ce qui permet de tenir une posture équilibrée et inédite dans le milieu assurantiel : avoir un vrai discours autour de la volonté d’accompagner la transformation de la société mais d’être également dans les actes.

 

 

 

Crédit photo : Aurélia Blanc

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