En un an le Pacte du pouvoir de vivre a réuni des associations, mutuelles et syndicats sur un plaidoyer commun. Initiée pendant le Grand débat, cette coalition inédite est parvenue à s’organiser, sans gommer les différences entre ses membres. Mais elle doit aussi se faire voir.

C’était le Jour du dérèglement. Ce 5 mars 2020, la France touche déjà le plafond de ses émissions de CO2 fixé d’ici à 2050[1] pour contenir le dérèglement climatique. Et au même moment, les 56 organisations du Pacte du pouvoir de vivre se retrouvent aux Grands voisins, à Paris, pour boucler leur Tour de France, un an après son lancement. Dirigeants, présidents de ces fédérations associatives, associations de solidarité, mutuelles, ONG environnementales et syndicats de salariés se retrouvent pour marquer leur engagement : « transition écologique et justice sociale forment un tout indissociable », résume par Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre.

Né avec le Grand débat, le Pacte du pouvoir de vivre se structure autour d’une plateforme de propositions qui réconcilient fin du mois et fin du monde. Il est aussi une réaction à la dégradation du dialogue entre les pouvoirs publics et cette société civile organisée dont les signataires du Pacte font partie (voir encadré).

Eviter le coût de com’

« Je suis convaincus que nous avons lancé une sacré dynamique qui n’est pas prête de s’arrêter », se réjouit Christophe Robert. La tribune initiale publiée le 5 mars 2019 a été relayée par les médias attirés par la notoriété de deux de ses signataires : Nicolas Hulot qui a démissionné quatre mois plus tôt de son ministère et Laurent Berger, le secrétaire générale de la CFDT. Mais « nous ne voulions surtout pas d’un coup de com’ sans lendemain », raconte Christophe Dague, en charge du Pacte et des questions de démocratie à la CFDT.

Le Pacte, c’est d’abord 66 propositions qui font consensus entre les signataires, un socle commun. « Nous avons travaillé ces propositions à une cinquantaine de personnes durant une très longue journée du 14 février 2019 », raconte Christophe Dague. Le travail se prolonge ensuite et met en exergue huit de ces propositions. Elles sont présentées au Premier ministre Édouard Philippe, lors d’une rencontre qui devait symboliser l’entame de l’Acte II du quinquennat, plus social et plus écologique que le premier. Une première victoire symbolique pour ce plaidoyer œcuménique de la société civile organisée.

Émergence de pactes locaux

Puis arrive le Tour de France. Une quinzaine d’événements qui rassembleront près de 3000 personnes. « Les militants nous parlent du Pacte du pouvoir de vivre comme d’une bulle d’oxygène dans une société en tension où on a du mal à obtenir quelque chose », explique Christophe Dague qui ajoute : « le fait d’avoir formulé un plaidoyer commun a donné un cadre, une impulsion pour la mobilisation sur le territoire ». Thierry Beaudet, président de la Mutualité française confirme : « les militants mutualistes ont joué plus que leur rôle dans ce Tour de France, preuve de notre capacité à nous mobiliser ». Une vingtaine de Pactes locaux ont émergé qui produisent leurs propres réflexions et leurs logiques d’action en parallèle des groupes de travail nationaux. « Cela nous permet autant d’élargir notre point de vue sur des sujets qui sont les nôtres comme la santé environnementale, que d’enrichir celui des autres en apportant notre expertise, comme sur le vieillissement », salue Thierry Beaudet.

La méthode « PPV »

Cette première année a surtout été l’occasion de « vérifier que nous avions un socle de valeurs communes suffisant pour être capables de mettre de côté nos différences », résume Christophe Robert. C’est l’impact majeur de ce collectif. De nombreuses structures évoquent les progrès mutuels pour s’ouvrir à la culture de l’autre et construire une capacité de travail en commun. Les échanges se sont multipliés entre membres du collectif. Groupes de travail ciblés sur le projet de loi de finance, sur la trajectoire carbone et la fiscalité… Participations croisées comme celle de Laurent Berger lors de la journée Droit de cité du Mouvement associatif ou de Nicolas Hulot lors de la journée sur le mal-logement de la Fondation Abbé-Pierre… Multiplications des échanges entre organisations, comme lors de journées de formation de bénévoles…

« Nous avons appris la patience, face à l’urgence », résume Christophe Dague. Certains sujets demandent en effet plus de temps. Les solutions pour une la bascule vers une fiscalité écologique demandent à murir. La mobilisation sur le scrutin européen n’a pas permis de sortir d’une forme de consensus mou. Mais tout le monde est à l’unisson pour s’enorgueillir de la consolidation des liens. « La bonne nouvelle du Pacte, c’est que ça fait un an et ça continue », salue Cécile Duflot, déléguée générale d’Oxfam France.

An II : se rendre visible

Le Pacte du pouvoir de vivre avance donc pas à pas. Aujourd’hui, ce sont les élections Municipales qui occupent l’espace avec une dizaine de propositions faites aux futurs Maires. Mais personne ne se cache l’échéance de 2022. Pour influer sur la campagne présidentielle, il faudra encore progresser sur le fond et sur la visibilité du Pacte. La rencontre avec Édouard Philippe a fait long feu. Les représentants du Pacte devaient rencontrer plusieurs ministres. Quatre ont suivi (Julien Denormandie, Jacqueline Gourault, Elizabeth Borne et Gabriel Attal) mais « ça ne suffit pas », estime Claire Hédon, présidente d’ATD-Quart monde, d’autant que le patron de Bercy, Bruno Lemaire, fait partie des grands absents de la liste.
Le début d’un budget de fonctionnement pour le Pacte devrait permettre d’affiner l’expertise commune en faisant appel aux chercheurs, mais aussi pour travailler à la visibilité du collectif. Mais là encore, pas question de se brûler les ailes. « C’est une visibilité en profondeur, sur les territoires, que nous visons, explique Laurent Berger. Cette visibilité repose dans notre capacité à porter des propositions communes. Nous sommes un collectif d’entités qui avons nos propres sujets à porter. Nous ne sommes pas un cartel figé. »

1. Le Jour du dérèglement est à distinguer du Jour du dépassement qui marque la date où l’humanité a dépensé la totalité des ressources que la Terre peut générer en une année.

A l’origine du Pacte du pouvoir de vivre
En plein crise des Gilets jaunes, Emmanuel Macron annonce l’organisation du Grand-débat. En janvier 2019, un groupe d’associations, mutuelles, syndicats s’interrogent sur leur positionnement. Faut-il participer ? Si oui, de quelle manière ? Comment impliquer les militants ? Ces structures se connaissent déjà. La plupart avaient initié un plaidoyer commun à la suite des attentats de décembre 2015. Elles avaient signé une tribune commune « Faire vivre les places de la République » * en janvier 2016. D’autres textes avaient suivi, mais le collectif avait fait long feu.
La dynamique reprend donc, poussée par le Grand débat et un constat partagé : « depuis 2017, nous nous sentons moins écoutés et entendus par le gouvernement, il y a peu de concertation et beaucoup moins de travail en commun », rappelle Christophe Dague. Décision est donc prise de relancer ce collectif avec un objectif en tête : sortir de l’incantation et travailler des propositions concrètes qui répondent au double enjeu de la transition écologique et de la justice sociale. 19 organisations signerons le Pacte le 5 mars.
*ATD Quart-monde, CFDT, CFTC, Fage, Fédération des acteurs de la solidarité, Fondation pour la Nature et l’Homme, France Nature Environnement, France Terre d’Asile, Le Mouvement associatif, Le Pacte civique, Les Francas, Ligue de l’enseignement, la Mutualité française, Unsa, WWF.