Les entreprises de lâESS sont-elles exemplaires en matiĂšre de rĂ©duction des Ă©missions de gaz Ă effet de serre ? Certes non. LâESS peut-elle peser sur la neutralitĂ© carbone française ? AssurĂ©ment oui. Ness vous explique tout et notamment en quoi cette Ă©conomie sociale et solidaire pourrait rendre la sobriĂ©tĂ© Ă©nergĂ©tique - aujourdâhui synonyme de gestion de la pĂ©nurie - attractive et positive.
La France est responsable de lâĂ©mission de Gaz Ă effet de serre (GES) Ă©quivalent Ă plus de 600 millions de tonnes de CO2 par an. Soit un peu plus de 9 tCO2 Ă©q. par an et par habitant. La neutralitĂ© carbone qui nous aidera Ă juguler la hausse globale des tempĂ©ratures en dessous des 1,5° C, fixe notre limite Ă 2 t CO2 par an et par habitant. Un objectif de division par plus de 4 Ă atteindre dâici 2050.
Que pĂšse lâESS dans ces Ă©missions ? Le chiffre nâexiste pas et il manque pour valider sans ambages que lâESS est une Ă©conomie de la sobriĂ©tĂ©. Mais au vu du peu de poids que reprĂ©sentent les activitĂ©s industrielles, extractives ou Ă©nergĂ©tiques, lâESS pĂšse probablement moins en Ă©mission de GES que les 6 Ă 10 % quâon lui attribue dans le PIB français. Une hypothĂšse qui mĂ©riterait toutefois dâĂȘtre validĂ©e et qui, quoi quâil en soit, ne dĂ©douane pas les entreprises de lâESS de participer Ă lâeffort collectif de rĂ©duction de nos Ă©missions de GES.
RĂ©duire les GES de lâESS
A commencer par le secteur des coopĂ©ratives agricoles (lâagriculture reprĂ©sente 19 % des Ă©missions, derriĂšre les transports avec 31 %), mais aussi les banques coopĂ©ratives ou encore le secteur mutualiste qui, du fait de leur activitĂ© financiĂšre (investissements, prĂȘts, placementsâŠ) portent la responsabilitĂ© dâexclure ou non de leur portefeuille des secteurs ou activitĂ©s fortement Ă©mettrices.
A titre dâexemple, Harmonie Mutuelle, premiĂšre mutuelle santĂ© avec prĂšs de 5 millions dâassurĂ©s (ndlr : Harmonie Mutuelle ESS est lâĂ©diteur de Ness) sĂ©curise, comme toutes les mutuelles, les cotisations de ses assurĂ©s via des placements financiers. La mutuelle a adoptĂ© une stratĂ©gie climat ambitieuse en 2022 qui englobe la mise en cohĂ©rence du portefeuille dâinvestissements avec les objectifs de rĂ©duction de son empreinte carbone.
Un chantier complexe, comme lâexplique Lionel Fournier, directeur SantĂ© et Ecologie dâHarmonie Mutuelle, dans le podcast « La transition c'est la santĂ© » quâil nous a accordĂ© : « Ce nâest pas facile avec une sociĂ©tĂ© française qui vit largement au-dessus des objectifs de lâAccord de Paris. Pour autant, notre direction des finances ne veut pas se payer de mots et fait un travail de documentation complexe pour Ă©valuer lâimpact carbone des entreprises, identifier quels objectifs se fixent ces entreprises et accompagner la dĂ©carbonation de ces activitĂ©s. Câest ce qui nous permet dâavoir aujourdâhui un portefeuille dont lâimpact carbone, traduit en Ă©volution de la tempĂ©rature, est quasiment un degrĂ© en dessous de la moyenne des portefeuilles dâinvestissement. On nâest pas encore au 1,5 degrĂ©, mais on avance⊠».
LâESS est donc bien dans le mĂȘme bateau que le reste de lâĂ©conomie. Les activitĂ©s sanitaires et sociales et solidaires, majoritaires dans lâESS, produisent, elles aussi leur empreinte carbone et certaines associations se lancent dans lâĂ©valuation et la rĂ©duction de cette empreinte comme nous lâindiquait StĂ©phane Pareil, directeur de lâArseaa dans notre prĂ©cĂ©dent dossiers (Ă©coutez le podcast : « L'ESS a-t-elle les moyens de sĂ©duire les Millenials ? »).
Croissance ou décroissance ?
Alors pourquoi lâESS affiche-t-elle autant son adĂ©quation aux enjeux de la transition Ă©cologique ? Il faut commencer par noter que lâhistoire de lâESS est faite dâĂ©poques, chacune marquĂ©e par une priorisation des enjeux sociĂ©taux quâelle poursuit. Comme lâĂ©voque lâouvrage Ă©pistolaire des Sibille, pĂšre et fils, Ătre radical, dialogue entre deux gĂ©nĂ©rations pour changer lâĂ©conomie, lâĂ©conomie sociale des annĂ©es soixante-dix sâest construite dans le combat pour lâemploi et celui contre les inĂ©galitĂ©s. AntĂ©rieurement, le mutualisme et la coopĂ©ration se sont organisĂ©s face Ă la prĂ©Ă©minence du modĂšle capitaliste. Les sociĂ©tĂ©s de personnes favorisaient un meilleur accĂšs aux droits, dont celui de consommer (ex. : La Maif issue de la nĂ©cessitĂ© pour des instituteurs dâaccĂ©der Ă des assurances auto Ă prix raisonnable). Bien que le Club de Rome ai publiĂ© son rapport sur Les Limites de la croissance en 1972, cette Ă©conomie sociale « tardera Ă prendre le tournant Ă©cologique qui Ă©merge dans les annĂ©es quatre-vingts », estime Bastien Sibille, fils et co-auteur de Hugues Sibille et surtout fondateur de Mobicoop et prĂ©sident des Licoornes. Et ce nâest pas quâune question de conscience environnementale, selon lui. Il relĂšve que « l'ESS n'a pas rĂ©solu la question de la croissance sur le plan idĂ©ologique (âŠ) des dirigeants de l'Ă©conomie sociale sont restĂ©s dans le logiciel dâune croissance Ă©conomique indispensable pour que la pauvretĂ© soit rĂ©sorbĂ©e ».
Lâenjeu climatique apparaĂźt il y a une quinzaine dâannĂ©es dans lâESS selon Bastien Sibille : « avec des entreprises comme les Fermes dâAvenir, ou encore, ce que je dĂ©fends, des coopĂ©ratives qui ont fait de la transition Ă©cologique le cĆur de leur mĂ©tier et se regroupent aujourdâhui au sein des Licoornes ». On y trouve notamment Enercoop, producteur et distributeur dâĂ©lectricitĂ© verte dont le vĂ©hicule dâinvestissement et de mobilisation citoyenne Energie partagĂ©e ambitionne de reprĂ©senter dâici 2030 15 % de la puissance installĂ©e en Ă©nergies renouvelables en France (Ă©coutez le podcast : « LibĂ©rez l'Ă©lectron citoyen qui est en vous »).
Economie dâĂ©nergie ou Ă©conomie de la sobriĂ©tĂ© ?
Peut-ĂȘtre faudrait-il Ă©largir la chronologie du reprĂ©sentant des Licoornes. Notamment si lâon se souvient que les militants de la bio dĂ©velopperont des alternatives en empruntant les statuts de lâESS dĂšs le dĂ©but des annĂ©es 90 (Mouvement des Amap, RĂ©seau des Biocoop) et que dâautres, au mĂȘme moment, inventeront lâĂ©conomie circulaire (Le Relais, EmmaĂŒs, Envie) en identifiant la ressource de la seconde main comme vecteur dâactivitĂ© et dâemploi. Mais ce dĂ©tour historique permet de comprendre que lâESS, sans avoir Ă©tĂ© « de tout temps » un chantre de lâĂ©cologie, a toujours recelĂ© des principes dâorganisation et dâaction qui sont dĂ©sormais identifiĂ©s par les promoteurs de la transition comme favorable Ă une Ă©conomie de la sobriĂ©tĂ©.
De fait, si la question de la croissance nâest pas rĂ©glĂ©e au sein de lâESS, « lâESS porte en elle une forme de sobriĂ©tĂ©, explique Antoine DĂ©tournĂ©, dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral dâESS France. Sa raison dâagir est de rĂ©pondre Ă des besoins sociaux. Donc la question nâest pas de vendre quelque chose qui ne sert Ă rien et va gĂ©nĂ©rer des flux de matiĂšres, des flux logistiques, etc. Ăa limite en soi le gaspillage que lâon peut constater dans notre sociĂ©tĂ© de consommation ».
Les scénarios de la transition écologique
Cette idĂ©e fait dĂ©sormais son chemin hors des alcĂŽves de lâESS. La relocalisation des activitĂ©s Ă©conomiques et les circuits courts, la coopĂ©ration des parties prenantes, la quĂȘte dâun bĂ©nĂ©fice environnemental et social plus que financier apparaissent dans le champ de vision dâacteurs aussi centraux que lâAdeme. Ce chef dâorchestre dans la mise en Ćuvre des politiques publiques de transition, lâa en effet reconnu dans son travail prospectif Transition(s) 2050 qui trace quatre scĂ©narios de transition possibles. Le premier « GĂ©nĂ©ration frugale » et le deuxiĂšme « CoopĂ©ration territoriale » sont les plus ambitieux en termes de rĂ©duction de la consommation et de la production tout en rendant cette rĂ©duction acceptable pour nos modes de vies. « Ces deux scĂ©narios dressent un paysage qui est presque exclusivement portĂ© par lâESS. Si on globalise un peu ces deux scĂ©narios, on Ă©volue dans un monde oĂč on essaie de consommer au plus prĂšs de nos besoins, on est dans lâĂ©conomie circulaire, on est dans lâĂ©conomie de matiĂšre, on est dans la rĂ©paration, dans le durable et le coopĂ©ratif », nous explique Jean-Louis Bergey, chef de projet Transition(s) 2050 dans le podcast « LâESS au cĆur des scĂ©narios de lâAdeme ».
Adoucir lâhorizon de la sobriĂ©tĂ© Ă©nergĂ©tique
LâAdeme explique, en creux de ses scĂ©narios de frugalitĂ© et de coopĂ©ration, que lâESS pourrait apporter Ă la transition Ă©cologique sa capacitĂ© Ă mutualiser lâeffort de sobriĂ©tĂ© pour le rendre plus acceptable. Un enjeu fondamental et qui rĂ©sonne fortement dans le contexte actuel oĂč, lâappel Ă la sobriĂ©tĂ© entendu depuis la fin du mois dâaoĂ»t, est dâabord un appel Ă des actes individuels pour gĂ©rer le risque de pĂ©nuries. PĂ©nurie dâĂ©nergie, mais aussi de toute une sĂ©rie de denrĂ©es de base comme le blĂ© ou dâautres produits agricoles comme les pommes de terre dont la rĂ©colte a diminuĂ© de 25% en raison de la sĂ©cheresse.
LâESS ne peut agir sur le temps court sur cet appel Ă la sobriĂ©tĂ©. En revanche, elle sait organiser les solidaritĂ©s mĂȘme dans lâurgence (cf. lâadaptation des actions de solidaritĂ© durant les phases de confinement) . Et surtout les modĂšles associatifs, historiquement, et plus rĂ©cemment de sociĂ©tĂ© coopĂ©rative dâintĂ©rĂȘt collectif (Scic) favorisent la concertation des parties prenantes et donc la mise en commun des enjeux pour les rendre rĂ©els et Ă portĂ©e dâaction par les forces citoyennes, Ă©conomiques et politiques. Et crĂ©er ainsi les conditions dâune sobriĂ©tĂ© organisĂ©e et acceptĂ©e collectivement.
Autrement dit, si lâESS nâest pas exemplaire et meilleure Ă©lĂšve que le reste de lâĂ©conomie pour contribuer Ă la neutralitĂ© carbone, elle y est disposĂ©e et dispose des outils et des process aptes Ă engager de maniĂšre partagĂ©e et positive les transitions qui sâimposent. Un atout non nĂ©gligeable quand on sait que toucher Ă nos modes de vies apparaĂźt aisĂ©ment comme une entrave Ă notre libertĂ© individuelle et peut gĂ©nĂ©rer une rĂ©action de rejet violent.