Claire Thoury : « l’exercice démocratique est exigeant, il nous oblige tous »

09/05/2023
Portrait Thoury Convention citoyenne sur la fin de vie Mouvement associatif

Dans un climat où se multiplient les positions sur la « crise démocratique », la présidente du Mouvement associatif revient pour Ness sur le déroulement de la Convention citoyenne sur la fin de vie dont elle présidait le Comité de gouvernance. Elle en décrit les rouages et les temps forts. Elle partage aussi sa vision de ce qu’elle désigne comme notre paradoxe démocratique et le rôle du monde associatif pour le résorber.

Pourquoi est-ce vous qui avez été désignée Présidente du comité de gouvernance de la convention citoyenne sur la fin de vie ?

Contrairement à la Convention sur le climat où le Conseil économique social et environnemental (Cese) était l’hôte, les conventions citoyennes sont désormais organisées par le Cese. C’est devenu sa compétence depuis la loi de janvier 2021 qui fait du Cese la chambre de la société civile organisée, mais aussi celle de la participation citoyenne.  

Dans ce nouveau cadre, le Cese a été saisi par le Gouvernement pour organiser cette convention citoyenne et a décidé de créer un comité de gouvernance ouvert. Le président du Cese, Thierry Beaudet aurait pu, assez naturellement, prendre cette présidence.  Mais il avait pris parti sur la fin de vie il y a quelques années en tant que président de la Mutualité française. Il a choisi de se déporter pour éviter un quelconque trouble avant même le début des travaux. 

Le Cese a, alors cherché une autre personne pour présider le comité de gouvernance. Si à la fin j’ai été choisie, j’y vois deux raisons. La première est que Le Mouvement associatif est, en soi, une forme de société avec des positionnements très divers en son sein et donc pas de parti-pris. La deuxième est que j’avais l’expérience de la commission de travail sur les question de la participation démocratique que j’avais présidée l’an dernier. Et nous y avions intégré des citoyens tirés au sort.
 

Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique a plus que loué le travail de cette convention qu’il a observée. Il ne pensait pas qu’il était possible d’aller aussi loin dans l’organisation de la réflexion des membres de cette convention sans pour autant les diriger. Qu’est-ce qui a si bien marché selon vous ? 

Il n’y aurait pas de convention citoyenne sur la fin de vie s’il n’y avait pas eu la convention citoyenne sur le climat. C’est un travail de dingue qu’ils ont réalisé et je le salue car nous avons pu, nous aussi, réaliser un travail de dingue grâce à ce point de comparaison. Cela veut dire qu’on progresse et c’est bon signe. Ensuite, le fait que la convention soit arrimée à une institution telle que le Cese est très important. La maison Cese est une machine puissante. C’est aussi l’espace où on fait dialoguer des personnes qui ne pensent pas de la même manière depuis 1947. Il y a une méthodologie qui est pertinente.

Deuxième point, il faut poser un cadre de confiance dès le départ pour que ça marche. Au sein du comité de gouvernance d’abord, ce qui veut dire éviter tout malentendu ou ambiguïté sur nos rôles et nos objectifs. Ensuite, il faut créer de la confiance avec tout l’écosystème : les chercheurs qui observent, les médias, les équipes du Cese… Si tout le monde se fait confiance et a en tête que le seul objectif c’est la réussite de la convention, on est préparé aux moments de tension, parce-que, évidemment, il y en aura. Le but est que ça ne prenne pas des proportions dramatiques.

Et enfin, il faut établir la confiance avec les citoyens tirés au sort. Et là, ça veut juste dire qu’il faut être humble. Je le dis souvent, la démocratie ce n’est pas glamour, c’est difficile, c’est un travail. On est face à des humains et on ne peut pas tout anticiper. Il faut être prêt à réajuster en permanence ce que nous avons préparé et assumer les aléas. Quand on commet une erreur, on s’excuse. Quand on a des doutes, on les partage. Et quand on n’est pas d’accord, on essaie de trouver les bons cheminements. 

Vous décrivez un processus très organique…

Je parle de mécanique démocratique, mais il y a quelque chose de la matière vivante, oui. Cela explique qu’on ne puisse tout anticiper. Soit on le vit comme un échec et c’est difficile, soit on se dit que c’est un facteur qu’il faut assumer. Et dire que l’exercice démocratique est exigeant, cela nous oblige tous. Mais nous montrons aussi que s’il y a de l’implication, ça fonctionne. Il y a donc de l’espoir et c’est à la portée de tout le monde.

Y a-t-il un moment de cette convention qui incarne cette exigence de l’exercice démocratique ? 

Il y a eu des moments compliqués dont un, critique, parce qu’on a pris une mauvaise décision. Nous avons fait voter l’assemblée à un moment où on n’aurait pas du. C’était à la fin de la troisième session, il en restait six et ça aurait pu basculer. Avant d’entamer la quatrième session, nous sommes venus présenter à l’ensemble de l’assemblée nos excuses. Je crois que ça a été un moment important dans la construction du rapport de confiance. 

A partir de ce moment-là, j’ai pris l’habitude de me présenter devant l’assemblée pendant une demi-heure avant le début de chaque session pour transmettre des informations et leur demander s’ils avaient des questions ou tout autre besoin.

A quel moment vous êtes-vous dit que la convention était sur les bons rails ?

Lors de la septième session. Trois heures avant le début, Le Figaro sort un papier « Soupçon de manipulation sur la convention citoyenne ». Après discussion avec le comité de gouvernance et les équipes du CESE, nous avons décidé de modifier le programme pour prendre deux heures en hémicycle à huis clos, c’est-à-dire sans presse, ni caméra pour un échange avec les citoyens.

J’ai expliqué qu’il y avait cet article du Figaro qui parle de manipulation et de malaise, que je ne le commenterai pas, parce que la presse est libre de publier ce qu’elle souhaite. Mais qu’il nous semblait important de discuter si ce malaise existait. Nous avons eu une heure trente d’échanges, de critiques. Ça a été un moment très important, les citoyens ont pu échanger entre eux et se dire des choses qu’ils n’avaient pas encore partagé mais aussi nous dire des choses à nous, comité de gouvernance.  Ça voulait dire que la confiance était toujours là et, surtout, qu’on était capable de se parler dans de bonnes conditions. Je me suis dit que tant qu’on arrivait à crever les abcès - si d’autres se présentaient - on y arriverait.

La réussite de cette convention montre que notre démocratie est capable d’innover. Le Pacte du pouvoir de vivre, auquel participe Le Mouvement associatif alerte pourtant sur la crise démocratique de notre pays tout en notant que la perte de confiance dans nos Institution. Quel est le rôle des associations dans cette crise démocratique ?

Nous n’en sortirons que si une démocratie représentative efficace fonctionnent  avec une société civile organisée et avec de la démocratie participative.
Une démocratie est vivante si on a des corps intermédiaires forts pour révéler les aspérités de notre société, faire émerger des problématiques du réel, développer des expertises d'usage, challenger les pouvoirs publics et apporter des réponses aux citoyens. 

Et il est normale qu’au terme d’une convention citoyenne, les parlementaires se saisissent de ses résultats et prennent les décisions puisqu’ils ont été élus pour cela. 

La vraie question qui se pose, c’est celle du conflit des légitimités. Légitimité de l'élection face à la légitimité de la rue, entre l'élection et le tirage au sort, entre l'élection et les associations type Ligue des Droits de l’Homme (LDH) ou des associations environnementales qui, avec le Contrat d'engagement républicain sont quand même très surveillées et sur lesquelles on fait peser une suspicion d’entrave à la République. C'est dangereux et c'est pour cela qu'on parle de crise démocratique.


Faut-il parler de conflit de démocraties ?

Je dirais plus que nous sommes face à un paradoxe démocratique. On a d'un côté une crise de confiance parce qu’on trouve que les Institutions sont trop éloignées de ce que nous vivons au quotidien. Résultat, la confiance dans nos élus est en berne. En même temps les gens s'engagent, veulent donner de leur temps à l'extérieur de chez eux, se mobilisent contre une réforme des retraites, passent quatre mois à parler de la fin de vie, s'engagent dans des organisations associatives, mutualistes, coopératives. Bref, ils ont envie d'avoir des espaces de pouvoir d'agir. C'est très intéressant !
L'enjeu - et les corps intermédiaires ont un rôle très important – c’est comment passer d’un discours autour de la société engagée à un discours autour d'une société plus politisée.

Politisée dans quel sens ?

Dans le sens d’écrire le récit d’une société plus juste. Il faut dire pourquoi on choisit le modèle associatif plutôt qu'un autre. Expliquer pourquoi certains champs d’activité ne peuvent pas être gérés par le privé lucratif. En offrant des espaces d'engagement à la population qui sont aussi des espaces de construction de la vie citoyenne. Aller dans un club de foot associatif, ce n'est pas la même chose que de s'inscrire dans un club privé lucratif. 

La force du monde associatif est dans son ancrage dans le réel et dans le fait que ce sont des gens qui s'organisent pour revendiquer du pouvoir d'agir. Que ce soit pour organiser un événement culturel, animer son territoire, défendre une cause ou porter un projet. Nous sommes politiques au sens noble du terme.
Quand on a du pouvoir d'agir, on a un rapport aux institutions, à la démocratie qui est moins dans la défiance et la distance parce que cela redonne confiance en soi. Le pouvoir d’agir ça n'a que des effets positifs. 

L’objectif d’un président de club de foot, est de constituer des équipes, les entrainer et faire du foot, voire gagner des matchs...

Ça ne veut pas dire que ça ne crée pas du pouvoir d'agir à la fin. Il y a le fait d'animer un club de foot et il y a l’effet que cela peut produire sur des trajectoires individuelles, sur le territoire par les rencontres que ça crée…Le plus intéressant c’est que ça vient des individus eux-mêmes.

C'est pour ça que c'est un modèle de liberté qu'on doit protéger et rappeler autant que possible. Parce que si on oublie que ces espaces sont très puissants en termes de création de lien et d'action civique ou citoyenne, c'est dramatique.

L'éducation populaire revêt pour certains une image très institutionnalisée autour de quelques grands réseaux historiques. Mais pour d'autres une image très moderne car ce sont méthodes et des outils qui n'ont jamais été aussi utiles... 

On n'a jamais eu autant besoin d'éducation populaire qu'aujourd'hui. Comment on permet aux gens de faire sien des concepts très compliqués comme la transition écologique, le partage de la valeur, la redistribution des richesses, la rénovation thermique des bâtiments… 

On n'a jamais eu autant besoin d’éducation populaire, parce qu'on n'a jamais eu autant besoin d'espoir. L'éducation populaire donne de l'espoir parce elle permet de se rendre compte que la réussite prend plein de formes qu'il y a une infinité de possibilité dans le monde. Que le collectif est quelque chose de très puissant. Ce n'est pas plus facile, parce que ça prend plus de temps, ça demande de négocier, faire des compromis, c'est un exercice démocratique en soi. Mais ça permet de faire des choses qu'on n'aurait jamais pu réaliser seul. La seule prise de conscience de cela, c'est très fort ! 

 

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