[INTERVIEW] David Cluzeau a été élu président de l'UDES, le 17 janvier 2025, il succède à Hugues Vidor qui aura effectué trois mandats. David Cluzeau nous accorde sa première interview en podcast et répond à nos questions sur les grands enjeux et dossiers qui occuperont son mandat. La transition démographique, comme la transition écologique seront des sujets prioritaires du dialogue social pour l'UDES.
Avant de devenir président de l’UDES pour trois ans, David Cluzeau faisait déjà partie du bureau de l'Udes en tant que président de la Commission des affaires sociales. Il a intégré le bureau il y a neuf ans. Il est aussi le président d'Uniformation, OPCO des métiers de la cohésion sociale.
Sur le plan professionnel, il est le délégué général d'Hexopée, syndicat employeur qui couvre les branches du sport, du tourisme sociale et familial, de l'hébergement des jeunes travailleurs ainsi que la branche Eclat (éducation, culture, animation et loisirs) et du Synofdes qui couvre la formation professionnelle.
Ness : Une gouvernance renouvelée à l’UDES ?
David Cluzeau : « Il y a [désormais] trois vice-présidences, contre une jusqu’à maintenant. Une vice-présidence déléguée qui sera occupée par Marie-Pierre Le Breton (président de l’Association nationale des employeurs mutualistes, ndlr). Ensuite, Manuela Pinto (déléguée générale d’Elisfa, syndicat employeur du lien social et familial) sera en charge des territoires. La question de l'implantation territoriale et de la dimension territoriale de notre action est très importante pour nous. La troisième vice-présidence, celle des affaires sociales qui est l'ADN d'une organisation patronale, est confiée à Emmanuel Boutterin (Président d’honneur du Syndicat national des radios libres, ndlr).
Nous avons aussi élargi le bureau en faisant rentrer des collègues qui représentent des champs qui l’étaient peu au sein du bureau de l’UDES et être plus en phase avec l’étendue des champs de l’ESS. L'insertion par l'activité économique, avec le représentant du Synesi (Emmanuel Stéphant, ndlr). Tout comme celui des organismes de formation (Vincent Séguéla, ndlr). »
Quelle place de l'UDES dans le débat sociétal ?
« [Nous sommes] des entreprises démocratiques. Elles le sont en interne, puisqu'il s'agit d'entreprises où chaque personne compte pour une voix et où la question du capital n'a rien à voir, ou peut à voir avec les décisions qui vont se prendre. C'est donc un engagement citoyen qui se traduit dans un projet économique ou dans un projet d'intérêt général.
Elles sont démocratiques, aussi, dans la manière dont le travail peut s'organiser au sein même des entreprises de l'économie sociale et solidaire. C’est cela que nous avons essayé de traduire dans l'Appel des employeurs engagés que l'ensemble des syndicats de l’UDES a signé il y a maintenant trois ans et que j'avais piloté à l'époque avec un certain nombre de collègues et les équipes de l'UDES. Nous sommes des entreprises dont l'objet social, quelle que soit la nature de nos statuts, nous engage dans la société. C'est le premier engagement.
Le second engagement, est vis-à-vis de notre capacité à entreprendre. Ce qui se traduit dans le fonctionnement de nos entreprises : Investir fortement dans la formation professionnelle de très haute tenue, probablement plus que dans la plupart des secteurs de l'économie française. Une volonté affichée d'avoir un haut niveau de protection sociale et de prévoyance dans l'ensemble de nos branches.
Cet Appel est aussi une invitation aux entreprises de l'ESS à faire participer le plus possible les salariés à la gouvernance, considérant que toutes les parties prenantes doivent être intégrées à la vision stratégique et au déploiement de nos projets sur les territoires.
L’appel des employeurs engagés [dit aussi] que nos secteurs sont attractifs, pour que des forces vives puissent nous rejoindre, parce qu'elles y trouvent le sens qu'elles veulent mettre dans leur travail. Un travail où les objectifs ne sont pas simplement économiques, mais aussi sociaux et sociétaux importants. Ils sont liés à l'environnement, à la question politique, à l'intérêt général. L'ESS, est un espace d'engagement. »
Des entreprises engagées, malgré la baisse des ressources publiques ?
« Nous ne devons pas avoir honte de dépendre des politiques publiques pour la mise-en-œuvre d'activités qui sont profondément d'intérêt général ou qui participent de la cohésion sociale. Que faisons-nous ? Nous répondons [aux besoins] par une offre de services non lucrative, qui n'enrichit à aucun moment des capitaux ou des actionnaires, effectivement sur fonds publics.
Pour mémoire, l’UDES représente 220 000 entreprises, 2,6 millions de salariés, 10 % du PIB, c'est-à-dire 200 milliards, ce qui n'est quand même pas tout à fait neutre ! Nous revendiquons notre intérêt général, notre utilité sociale. Mais nous sommes aussi des acteurs économiques. Nous produisons de la richesse. Quand on est sur un territoire et que, parfois, les acteurs de l'économie sociale et solidaire sont les plus gros employeurs, nous participons à la création de la richesse locale.
De plus, si l'ensemble des propositions de l'économie sociale et solidaire n'existait pas, la chaîne économique ne pourrait pas fonctionner dans son ensemble. S'il n'y a plus de prise en charge de la petite enfance, comment fait-on ? Comment les parents font pour aller travailler ?
Dépendre de la dépense publique est un choix nécessaire, fait par une partie de l'ESS, le secteur associatif, qui sont ceux qui ont proposé, construit, et renouvelé les cadres des politiques publiques. »
Où en est le travail sur la représentativité de l’UDES ?
« C'est un travail qui a avancé, pour autant, il n'est jamais fini, parce que l'économie sociale et solidaire, à peu près comme tout secteur économique, est un secteur vivant.
Il y a toute une partie du secteur d'économie sociale et solidaire qu'on appelle dans notre jargon un secteur non branché (non rattachés à une branche professionnelle). Il faut qu'on aille les repérer, et voir comment on peut les associer à nos travaux. Et il y a de très grandes entreprises de l'ESS, ou des plus petites qui souhaiteraient rejoindre l'UDES dans sa dynamique de promotion d'une autre vision du travail, de l'emploi, de la formation, de l'économie et du social.
Ensuite, l’enjeu de l’implantation territoriale est très fort et je salue le travail fourni par Manuela Pinto et les équipes de l’UDES sur ce champ. Nous avons plusieurs milliers de mandataires sur l'ensemble du territoire. Et donc, nous avons des forces vives qui sont en action.
Pour autant, c'est un travail de longue haleine. Il faut maintenir à un haut niveau d'activité pour affiner notre lisibilité, notre visibilité, notre légitimité sur l'ensemble du territoire, notamment avec les interlocuteurs des collectivités territoriales Troisième point, nous sommes désormais reconnus par les interlocuteurs publics. (…) Mais nous avons à approfondir encore notre présence dans la presse d'une manière générale, pour que nos messages soient encore plus entendus qu'ils ne le sont aujourd'hui. »
L’UDES est-elle suffisamment écoutée ?
« L’UDES siège dans un grand nombre d'instances et nous pouvons nous féliciter que, lorsqu’une instance nationale de concertation est créée, l’UDES fait partie des organisations qui sont appelées à y siéger.
La question prend une dimension différente quand on parle de la lecture que peut avoir un ministère, comme Bercy, de l'ESS en tant qu’acteur économique. Il y a des familles qui sont très bien intégrées parce qu'elles s'appuient sur des canons économiques qui sont plus proches des entreprises conventionnelles. C'est le cas des coopératives. Les mutuelles aussi. C'est un peu plus compliqué pour les associations. Mais la crise Covid et l’absence de ciblage des aides vers les associations a agi comme un révélateur. Mais il faut entretenir ce travail.
Sans doute faudrait-il que l'ESS soit mieux enseignée aussi dans les grandes écoles françaises. C'est un projet que nous avons décidé d'embarquer lors du dernier conseil d'administration de l’UDES pour travailler de manière bien plus étroite aux relations entre l'économie sociale et solidaire et l'enseignement supérieur vu d'une manière générale. C'est nécessaire. »
Quelles sont les sujets de négociation dans l'économie sociale et solidaire ?
« Un grand chantier est ouvert depuis quelques mois sur la question de la transition démographique. Nous parlons de transformation du rapport au travail pour les jeunes, de la manière d’attirer des jeunes sur des métiers en pénurie. La question de l'aidance est aussi traitée de manière centrale, puisque elle apparaît très tôt, en réalité dans la vie professionnelle des personnes. Nous y parlons aussi de l'emploi des seniors qui est d'autant plus importante dans l’ESS que nous avons un taux de seniors de plus de 50 ans supérieur au reste de la population active.
Nous avons travaillé sur la transition numérique par un accord signé il y a quelques mois. Il faudra sans doute le reprendre à un moment donné, parce que lors que nous avons discuté, nous ne parlions pas comme aujourd’hui de l’intelligence artificielle.
Et nous allons évidemment nous attaquer à la transition écologique. Nous avons déjà réalisé beaucoup de travaux mais nous n'avons pas encore d'accord. Aujourd'hui, nous avons une étude sur nos secteurs pour savoir comment est appréhendée la transition écologique, l'impact sur les métiers, sur l'organisation du travail aussi. Ce travail vient rejoindre aussi, la mise en œuvre et le déploiement de Valoress, un outil qui permet de travailler sur la question du climat au sein de chaque des entreprises de l'ESS. »
Quelles alliances dans l’ESS et avec les organisations patronales aujourd’hui et demain ?
« Nous devons consolider nos liens avec nos deux familles. Celle de l’ESS et celle du dialogue sociale, avec les autres organisations patronales. Il y a deux grandes organisations représentatives de l'ESS en France qui cheminent ensemble : ESS France et l’UDES. Nous sommes membre du bureau d'ESS France et Fatima Bellaredj, qui est secrétaire générale d'ESS France, vient d'intégrer le bureau de l’UDES en tant que trésorière.
L’objectif, mise en œuvre depuis quelques mois, est de construire à la fois un plaidoyer commun fort, une lisibilité harmonisée, voire unifiée et une volonté de représenter ensemble l’ESS mais aussi de s'accorder sur le fait que nos expertises sont différentes et que l’on apporte, les uns et les autres, des choses différentes au débat sur l’ESS et sa promotion.
En ce qui nous concerne, notre champ privilégié d'action, c'est celui du dialogue social, la question de l'emploi, de la formation, la question de la protection sociale, mais aussi la question de l'économie. Et sur ces questions d'économie, évidemment, mais sur les autres aussi, les chemins se croisent avec ESS France. Ca veut dire aussi que l’UDES, dans ce cadre-là, aura à entretenir de manière très étroite des relations avec les familles de l'ESS. Ce qu'on faisait plus ou moins formellement avec le monde associatif, coopératif et mutualiste et les entrepreneurs sociaux. »
Quelles relations avec le Mouvement impact France ?
« Le Mouvement impact France a une volonté de représenter les entrepreneurs sociaux. Il n'y a aucun problème là-dessus. En revanche, la question de la représentation dans le dialogue sociale est juridiquement encadré et l’UDES joue pleinement et complètement son rôle. Donc, les relations avec le mouvement Impact France, sont bonnes et apaisées. »
Comment peuvent évoluer les relations avec le Medef et les autres organisations patronales ?
« Nous représentons des entreprises qui ont une vocation différente, une lecture de l'économie différente. Il est légitime d’avoir voie au chapitre. Et c'est pour cela que, depuis 2014, nous sommes une organisation multi professionnelle reconnue représentative nationalement par l'État.
Mais la reconnaissance passe aussi par la capacité à dialoguer, à se rencontrer, à se dire que parfois on est d'accord, peut-être à porter des choses ensemble, à se dire aussi que, de temps en temps, nous ne sommes pas d'accord et qu'on peut porter des choses différentes. C’est dans ce cadre là, lors de l'espace de discussion budgétaire, que nous avons eu, tous ensemble (Medef, U2P, CPME et FNSEA) manifesté notre crainte très forte d'avoir une réforme des allégements de cotisations sociales qui nous mettait clairement en péril, nous UDES, en plus des mesures d’économies. »
En fêtant ses 30 ans, l’UDES a réunis sur une même table ronde les dirigeants syndicaux, de la CGT à la FNSEA en passant par le Medef… L’UDES a-t-elle un rôle particulier à jouer ?
« Cela prouve en tout cas que nous avons réussi un parcours qui n'était pas gagné. Celui d’avoir l'oreille et le retour très positif des organisations de la sphère interprofessionnelle; quand nous souhaitons mettre un sujet en débat. Et ce, que ce soit les organisations syndicales de salariés ou les organisations patronales . »