[ANALYSE] Dans un secteur oĂč le sens de la mission humaine prime souvent sur sa propre condition, lâabsentĂ©isme nourrit lâabsentĂ©isme. Pour rompre la spirale, il est important de regarder lâenvironnement de travail qui est majoritairement citĂ© comme parmi les origines des arrĂȘts longs. Analyser et agir sur la charge de travail de chaque salariĂ© serait autant un gage de bien ĂȘtre des salariĂ©s, que de rĂ©aliser les missions et les objectifs des organisations.
Alerte sur lâabsentĂ©isme
Que nous rĂ©vĂšle la hausse des chiffres des arrĂȘts de travail ? Car câest un fait, quelque-soit le baromĂštre que lâon regarde, lâabsentĂ©isme progresse (voir l'Ă©dito de notre dossier). Les chiffres varient entre 42 et 50 % des salariĂ©s qui ont connu un arrĂȘt en 2022, et tous sont en augmentation dâau moins une demi-douzaine de points par rapport Ă lâavant-Covid.
Les causes Ă©voluent aussi. La maladie « ordinaire » et les accidents de la vie restent les premiers facteurs dĂ©clenchants dâun arrĂȘt. Mais les arrĂȘts longs (plus de 30 jours) qui ont touchĂ© un salariĂ© sur cinq sur les trois derniĂšres annĂ©es, sont majoritairement dus Ă des facteurs psychologiques. Et leur durĂ©e passe de 97 Ă 111 jours en un an, selon le baromĂštre du Comptoir Malakoff Humanis. Ces facteurs psychologiques peuvent ĂȘtre de nature familiale ou personnelle, mais ils sont aussi largement dus au contexte professionnel. LâObservatoire de lâimprĂ©voyance du Groupe VYV Ă©value dans une Ă©tude sur les arrĂȘts longs publiĂ©e en septembre dernier, que 66 % des salariĂ©s concernĂ©s Ă©voquent lâenvironnement de travail comme lâune des causes de leur arrĂȘt (voir notre infographie synthĂ©tique). Autrement dit, se prĂ©occuper de la santĂ© de ses salariĂ©s, imposent de se pencher sur lâorganisation du travail.
Et dans lâESS ?
Les chiffres spĂ©cifiques de lâabsentĂ©isme dans les branches de lâESS ne sont pas connus mais Younes Benhjab, chef de projet au pĂŽle santĂ© et qualitĂ© de vie au travail (SQVT) dâHarmonie Mutuelle ESS constate : « on nous interpelle actuellement sur ces questions dâabsentĂ©isme ». Si lâon prend les chiffres de la santĂ©, un secteur auquel lâESS est reliĂ©, ce sont 63 % des salariĂ©s qui ont eu un arrĂȘt de travail en 2022, soit 13 points de plus que la moyenne nationale. Par ailleurs, lâObservatoire de lâimprĂ©voyance a mesurĂ© le sentiment de culpabilitĂ© chez les salariĂ©s en arrĂȘt long. Il est citĂ© dans 22 % des cas. Et GaĂ«lle Viette, qui a menĂ© lâenquĂȘte, autant dans le privĂ© que dans la fonction publique (santĂ©, Ă©ducationâŠ), constate que cette culpabilitĂ© face Ă lâarrĂȘt, est « particuliĂšrement plus forte dans les mĂ©tiers de conviction » .
Sens et environnement du travail
Lâune des singularitĂ©s de lâESS est le sens donnĂ© au travail. Les mĂ©tiers et missions sont centrĂ©s sur lâaccompagnement des autres, la prise en charge de lâhumain, le soin, la solidaritĂ©. Emmanuelle Paradis, cheffe de projet SQVT Harmonie Mutuelle ESS, raconte des situations oĂč les professionnels dĂ©passent largement leur fiche de poste pour compenser le manque dâeffectifs et de moyens : « je me souviens dâune agent de service, chargĂ©e du mĂ©nage et de la prĂ©paration des petits dĂ©jeuners, qui arrivait 30 minutes avant lâheure pour aider une pensionnaire, dont elle avait repĂ©rĂ© que la santĂ© se dĂ©gradait, Ă prendre son petit dĂ©jeuner Ă la petite cuillĂšre. Ce nâĂ©tait pas dans ses missions mais câest la situation qui Ă©tait juste parce que câĂ©tait intolĂ©rable pour elle (âŠ) Et ce qui fait quâĂ un moment donnĂ©, cela craque brutalement, câest que cet engagement-lĂ est totalement invisible. »
Retrouver le sens du collectif de travail
Cette spirale de lâabsentĂ©isme, atteint donc des professionnels parce quâils et elles sâengagent au-delĂ de leur temps et de leurs missions. Lâintensification du travail due Ă la rĂ©duction des coĂ»ts et des moyens est Ă lâorigine de cette spirale. Lâaugmentation des moyens allouĂ©s Ă ces activitĂ©s dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et lâamĂ©lioration de lâattractivitĂ© des mĂ©tiers (salaires, conditions de travail) sont indispensables Ă lâamĂ©lioration globale des environnements de travail. Ils relĂšvent du dialogue social des branches et de la nĂ©gociation avec les prescripteurs et financeurs que sont lâEtat et les collectivitĂ©s territoriales (tout particuliĂšrement les DĂ©partements).
Mais comment agir au plus de lâactivitĂ© de lâorganisation ? « un travail, mĂȘme trĂšs prescrit, est confrontĂ© Ă de lâimprĂ©vu et le salariĂ© a Ă faire des choix. Mieux il est outillĂ©, mieux cela se passe. OutillĂ© sur le plan technique et humain, mais aussi dans lâorganisation collective du travail. Il lui faut des repĂšres comme lâopportunitĂ© dâĂ©changes de pratiques entre pairs », explique Emmanuelle Paradis. Younes Benhjab Ă©voque le cas oĂč deux Ă©tablissements dâune mĂȘme association ont fait des choix inverses face Ă lâabsentĂ©isme. Lâun a dĂ©cidĂ© dâinterrompre les temps de partage de pratiques pour se concentrer sur les interventions, quand lâautre choisit de les garder. « La seconde a pu rĂ©duire son absentĂ©isme, lâautre pas. » Les recettes miracles nâexistent pas sâempressent dâajouter les experts SQVT, mais toute solution issue dâun travail qui remet le collectif de travail au centre est favorable Ă une solution qui permet de trouver des rĂ©sultats qui feront baisser lâabsentĂ©isme : « reprendre le projet associatif, temps de partage des pratiques pour Ă©tablir un diagnostic, coconstruction des procĂ©dures, apporter des rĂ©ponses collectives », Ă©numĂšre Younes Benhjab. « Et parfois il vaut mieux une solution qui parait un peu bancale mais qui fait accord entre tout le monde, quâune solution apparemment miracle, mais peu partagĂ©e », ajoute Emmanuelle Paradis, qui Ă©numĂšre quelques solutions dans notre podcast.(Ă©couter le podcast)
Accompagner pendant lâarrĂȘt
Si les facteurs psychologiques et lâenvironnement de travail suscitent de plus en plus dâarrĂȘts longs, il parait dâautant plus cohĂ©rent dâaccompagner les salariĂ©s au mieux pour que leur retour soit rĂ©ussi. LâarrĂȘt pour raison de santĂ© est un soulagement, mais câest aussi une source dâinquiĂ©tude quand lâarrĂȘt se prolonge. Combien de temps va-t-il durer ? Quel sera mon corps aprĂšs la maladie ? Quel sera le regard des autres, tant du fait de ma maladie, que de mon absence ? Que vais-je rater ? Et les difficultĂ©s financiĂšres dues Ă une baisse de rĂ©munĂ©ration sont aussi source dâun stress Ă©norme. « Il faut prendre en compte ces considĂ©rations psychologiques », insiste AgnĂšs Riu, Directrice PrĂ©voyance du Groupe VYV (Ă©couter notre second podcast). Elle ajoute quâune reprise mal accompagnĂ©e « câest souvent un retour en arrĂȘt de travail ou des situations trĂšs difficiles pour la personne en emploi, avec des rĂ©percutions avec les collĂšgues ou les personnes quâelle sert. »
Comment accompagner ? « Le manager, les services des ressources humaines, les partenaires sociaux, aussi, ont un rĂŽle. Le premier est dâanticiper en rendant disponible les rĂ©ponses aux premiĂšres questions qui vont se poser (perte de salaire, qui est mon interlocuteurâŠ) ». En dehors des cas oĂč le mĂ©decin invite Ă couper le contact avec lâenvironnement professionnel, un contact lĂ©ger du manager ou de la RH pour se mettre Ă la disposition du salariĂ© et lui apporter les rĂ©ponses, est utile et important, explique la Directrice PrĂ©voyance : « bien sĂ»r il ne sâagit pas dâĂȘtre intrusif, mais dâĂȘtre disponible au moment oĂč la personne pourra aller chercher les informations et le contact dont elle aura besoin ».