🔍 Chercher les voies de la sociĂ©tĂ© inclusive

22/11/2021
[ANALYSE] Chercher les voies de la société inclusive par Ness

[ANALYSE] La route vers la sociĂ©tĂ© inclusive est encore longue. Les termes sont entrĂ©s dans le vocabulaire courant des politiques publiques depuis quatre ans, mais le ComitĂ© des Droits des personnes handicapĂ©es de l’ONU regrettait rĂ©cemment la persistance d’une «discrimination structurelle» en France. Qu’en disent les associations et que font elles sur le terrain ? RĂ©ponse dans cet article

Il suffit d'une heure et demie sur un bateau pour saisir l'Ă©vidence d'une sociĂ©tĂ© qui est inclusive. Constituer un Ă©quipage d'inconnus, fait de valides et de personnes en situation de handicap quels qu’ils soient et d’un skipper engagĂ©. Prenez la mer et c'est parti, tous sur le mĂȘme bateau !

La mĂ©taphore est parlante et vous pouvez la vivre dans notre podcast Embarquement immĂ©diat vers la sociĂ©tĂ© inclusive. Au large du TrĂ©port, sur le voilier Un pour tous, Ness a captĂ© cette alchimie qui naĂźt quand chacun comprend qu'il a besoin de tous les autres pour trouver le vent et avancer. Alors le groupe devient un Ă©quipage, chacun trouve sa place, assume ses faiblesses et fait valoir ses facultĂ©s. Une sociĂ©tĂ© inclusive est une «Une sociĂ©tĂ© qui prend en compte et respecte la singularitĂ© de chacun», rĂ©sume Luc Gateau, prĂ©sident de l’Unapei. De maniĂšre plus synthĂ©tique, les personnes en situation de handicap et leurs familles revendiquent le droit Ă  une vie digne, l’égalitĂ© des droits et leur libre-choix dans tous les compartiments de leur vie.

 

image d'une personne vieillissante et handicapĂ©e psychique le regard plongĂ© au loin par la fenĂȘtre

Changer le regard

La sociĂ©tĂ© d’aujourd’hui n’a plus rien Ă  voir avec celle d’hier. Le handicap dans le monde a longtemps Ă©tĂ© «une histoire de maltraitance. Les personnes en situation de handicap ont Ă©tĂ© supprimĂ©es, criminalisĂ©es, rejetĂ©es de maniĂšre permanente», relĂšve Charles Gardou, anthropologue et auteur de La sociĂ©tĂ© inclusive, parlons-en ! A partir du XXe siĂšcle, une Ă©volution longue et progressive due Ă  la mobilisation des associations et des changements lĂ©gislatifs (la premiĂšre loi cadre est la loi Veil de 1975) amĂ©liore la situation. On parle d’intĂ©gration, puis d’inclusion. Mais notre SociĂ©tĂ© peine Ă  reconnaĂźtre pleinement que le handicap fait partie d’elle. «Si l’intĂ©rieur de la maison n’est pas habitable, n’est pas viable, vous aurez beau dire ''entrez'', les personnes n’y trouveront pas leur place. Donc il faut amĂ©nager la maison. Il s’agit sĂ»rement moins de faire de l’inclusion que de ne plus faire d’expropriation», estime Charles Gardou. Anne-Lise Leblic, dĂ©lĂ©guĂ©e en Seine-Maritime de l’AFM-TĂ©lĂ©thon nous le racontait sur le Un pour tous. Atteinte d’une myopathie des ceintures, elle se dĂ©place en fauteuil depuis quelques annĂ©es. Elle regrette d’ĂȘtre «encore trop souvent regardĂ©e comme si on venait d’une autre planĂšte».

 

Une situation contrastée

Au-delĂ  de ces constats, comment avance cette sociĂ©tĂ© inclusive que les associations appellent de leurs vƓux ? La situation est contrastĂ©e. CĂŽtĂ© vie professionnelle, le taux de chĂŽmage des personnes en situation de handicap reste deux fois plus Ă©levĂ© que la moyenne nationale. A l’école, le nombre d’enfants scolarisĂ©s en milieu ordinaire augmente progressivement depuis quinze ans mais comme l’indique Luc Gateau : «lorsqu’un enfant n’est scolarisĂ© que quelques heures dans la semaine, faute de formation des enseignants et d’auxiliaire de vie scolaire en nombre suffisant, nous n’avons pas pris en compte la globalitĂ© de l’accompagnement».

 

Les critiques de l’ONU

En aoĂ»t 2021, la France s’est faite tancĂ©e par le ComitĂ© des droits des personnes handicapĂ©es de l’ONU. Ce comitĂ©, chargĂ© d’évaluer la mise en Ɠuvre de la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapĂ©es (2010) par les pays signataires, regrette devant Sophie Cluzel, secrĂ©taire d’Etat dĂ©lĂ©guĂ©e au handicap, les «discriminations structurelles» vĂ©cues en France. La ministre, elle, mettra en avant son bilan avec la revalorisation de l’Allocation adulte handicapĂ© (AAH), la crĂ©ation de 9000 emplois un «service public de l’école inclusive» ou encore le droit de se marier et de voter accordĂ© aux adultes sous tutelle en 2019.

Que reproche le comitĂ© de l’ONU Ă  la France ? Le rapporteur de l’avis, Jonas RuĆĄkus, a soulignĂ© que «les mesures du gouvernement ne sont pas alignĂ©es sur les obligations Ă©dictĂ©es par la Convention» (voir encadrĂ© ci-dessous), car elles «ne reflĂštent pas tellement le modĂšle du handicap basĂ© sur les droits de l’Homme».

 

Les principes de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (ONU)
  1. Le respect de la dignitĂ© intrinsĂšque, de l’autonomie individuelle, y compris la libertĂ© de faire ses propres choix, et de l’indĂ©pendance des personnes ;
  2. La non-discrimination ;
  3. La participation et l’intĂ©gration pleines et effectives Ă  la sociĂ©tĂ© ;
  4. Le respect de la diffĂ©rence et l’acceptation des personnes handicapĂ©es comme faisant partie de la diversitĂ© humaine et de l’humanitĂ© ;
  5. L’égalitĂ© des chances ;
  6. L’accessibilitĂ© ;
  7. L’égalitĂ© entre les hommes et les femmes ;
  8. Le respect du dĂ©veloppement des capacitĂ©s de l’enfant handicapĂ© ;
  9. Le respect du droit des enfants handicapés à préserver leur identité.

 

Selon le rapporteur, nous stagnons sur un «modĂšle de prise en charge mĂ©dico-sociale» favorisant l'institutionnalisation systĂ©matique sur la base du handicap. Cyril Desjeux, directeur scientifique d’HandĂ©o (HandĂ©o est un groupe de l’Economie sociale et solidaire dirigĂ© par et au service des personnes en situation de handicap fondĂ© par les grands rĂ©seaux associatifs du handicap) nous fait l’explication de texte : «Le principe est de considĂ©rer les personnes en situation de handicap comme des sujets de droit et non des sujets de soin. Cela veut dire ne pas les voir que par les incapacitĂ©s, mais comme des acteurs Ă  part entiĂšre de la sociĂ©tĂ© qui doivent avoir accĂšs aux mĂȘme droits que les autres». Le reproche d’«institutionnalisation» cible, prĂ©cisĂ©ment le fait de cantonner le handicap dans des cadres et institutions ad hoc, contribuant ainsi Ă  mettre de cĂŽtĂ© le handicap dans l’organisation sociale. Dans son communiquĂ© de la fin aoĂ»t, le Collectif Handicaps (regroupement d’une quarantaine d’organisations et rĂ©seaux reprĂ©sentant la grande majoritĂ© des associations en France) partage la lecture sĂ©vĂšre des membres du ComitĂ© de l’ONU et notamment celle de Jonas RuĆĄkus dĂ©nonçant «une discrimination structurelle» en France.

 

Jouer l’ouverture

L’Unapei, membre du Collectif handicaps, s’inquiĂšte toutefois de la confusion entre Ă©tablissement et institutionnalisation. La majeure partie des infrastructures mĂ©dico-sociales sont gĂ©rĂ©es en France par les associations qui ont contribuĂ© historiquement Ă  les crĂ©er pour combler le vide de l’action publique.

« Nous aurions souhaitĂ© un rapport d’encouragement qui prenne en compte ce qui se passe sur le terrain », nous explique Luc Gateau, prĂ©sident de l’Unapei. «Il faut entendre le terme d’institution au sens sociologique et non au sens du lieu qu’est l’établissement de soin», prĂ©cise Cyril Desjeux.

 

Les associations à la manƓuvre

En 1933, quatre jeunes hommes souffrant de poliomyĂ©lite veulent rompre avec l’isolement et l’exclusion dont ils sont victimes. C’est le dĂ©but de l’histoire de l’Association des paralysĂ©s de France devenue en 2008 APF France handicap. Pour la premiĂšre fois, ce sont les premiers concernĂ©s qui trouvent dans la forme associative, l’opportunitĂ© de dĂ©velopper ce qui n’existait pas : des Ă©tablissements dĂ©diĂ©s, une offre de soins adaptĂ©e. APF France handicap gĂšre aujourd’hui 125 structures pour enfants et adolescents, 261 pour les adultes, et 25 Ă©tablissements et services d’aide par le travail.

Au lendemain de la 2de Guerre-mondiale, des parents d’enfants en situation de handicap intellectuel inventent les premiĂšres rĂ©ponses pour ces enfants laissĂ©s de cĂŽtĂ©. Ces initiatives se regroupent en 1960 au sein de l’Union nationale des parents d’enfants inadaptĂ©s. L’Unapei regroupe aujourd’hui 550 associations et 55 000 familles et Ă©difient, par eux-mĂȘmes, l’offre d’accompagnement mĂ©dico-social adaptĂ©e Ă  leurs enfants.

Pour ces deux organisations, aprĂšs le temps de la crĂ©ation des rĂ©ponses aux besoins des personnes et des familles, vient celui de la revendication Ă  partir des annĂ©es soixante (qui n’interrompt pas la crĂ©ation de nouveaux services et Ă©tablissements). Les personnes en situation de handicap ne sont plus seulement des personnes dont il faut s’occuper, mais des individus qui aspirent Ă  la plus grande autonomie possible, Ă  faire reconnaĂźtre leurs droits et revendiquent leur dĂ©sir de participation Ă  la vie sociale. La premiĂšre politique du handicap s’inscrit dans la loi Veil de 1975, fortement inspirĂ©e par ces mouvements associatifs.

image d'un enfant en situation de handicap auditif

Aménager la maison commune

Les associations restent en premiÚre ligne des innovations pour progresser vers une société inclusive.
Nous en décrirons deux exemples.

En crĂ©ant HandĂ©o en 2007, le monde du handicap souhaitait se doter d’un outil apte Ă  permettre Ă  chacun d’ĂȘtre citoyen en dĂ©veloppant la connaissance, la crĂ©ation de rĂ©fĂ©rentiels qualitĂ© des services et la formation des professionnels. L’observatoire produit de maniĂšre participative des connaissances et contribue Ă  rĂ©vĂ©ler les carences de notre sociĂ©tĂ©. Son travail sur le droit de vote a contribuĂ©, par exemple, Ă  l’octroi de ce droit aux personnes placĂ©es sous tutelle. MĂȘme si la loi reste limitative dans l’organisation effective du droit de vote faute d’un accompagnement opĂ©rationnel, c’est une avancĂ©e rĂ©cente obtenue en 2019.

La branche HandĂ©o service du groupe HandĂ©o s’est donnĂ©e pour mission la certification qualitĂ© des services et Ă©tablissements mĂ©dico-sociaux sur la base de rĂ©fĂ©rentiels Ă©tablis par les personnes en situation de handicap et les professionnels. Ces rĂ©fĂ©rentiels sont conçus dans le but «d’accompagner le pouvoir d’agir des personnes en situation de handicap. De leur permettre de choisir pour elles-mĂȘmes et surtout de dĂ©cider», explique Cyril Desjeux. Ce sont aujourd’hui 300 organismes certifiĂ©s qui forment un rĂ©seau (Cap’HandĂ©o) de professionnels contribuant au dĂ©veloppement d'une offre d'accompagnement compĂ©tente et adaptĂ©e aux attentes de 150 000 personnes handicapĂ©es et des personnes ĂągĂ©es dĂ©pendantes.

 

Une recherche inclusive

Notre deuxiĂšme exemple est en pleine Ă©mergence : la recherche inclusive. Celle-ci, expliquĂ©e dans notre podcast par Estelle Peyrard, responsable du Tech Lab d’APF France handicap, agit sur deux champs : le premier vise Ă  systĂ©matiser la participation des personnes en situation de handicap aux process de recherche et dĂ©veloppement de nouvelles solutions technologiques destinĂ©es au handicap. Le second champ invite tous les acteurs de l’innovation produit Ă  prendre en compte les attentes des personnes en situation de handicap afin de rendre accessible leur innovation Ă  tout Ă  chacun. Ce Tech Lab s’emploie donc Ă  convaincre les grandes marques avec un argument massue : «quand les entreprises ignorent les personnes en situation de handicap, elles ignorent 15 % de leur marchĂ© au bas mot car les habitudes des proches et des aidants vont aussi ĂȘtre impactĂ©es».

La sociĂ©tĂ© progressera d’autant plus vite qu’elle prendra conscience que le handicap et les fragilitĂ©s font partie intĂ©grante d’elle-mĂȘme. Aujourd’hui, entre personnes en situation de handicap, proches, aidants et professionnels, c’est un français sur trois qui est en contact quotidien avec le handicap.

Sur le mĂȘme sujet

Vague de chaleur du soleil extrĂȘme et fond de ciel. Temps chaud avec le concept de rĂ©chauffement planĂ©taire. TempĂ©rature de la saison estivale. Et marqueur Ness
15/04/2024

📇 Pourquoi il est temps d’enclencher sa transition

[EDITO] A lire pour savoir, en deux minutes, pourquoi la transition Ă©cologique reprĂ©sente autant un dĂ©fi qu’une...
Image animée du logo Ness avec un casque qui se branche dessus
15/04/2024

🎧  Comment mener la transformation Ă©cologique de son organisation

[INTERVIEW] Ness a conviĂ© deux experts de la transition Ă©cologique et de l’ESS pour parler concept, mĂ©thode...
Image animée du logo Ness avec un casque qui se branche dessus
15/04/2024

🎧 La transition Ă©cologique est facteur d’amĂ©lioration de nos activitĂ©s

[REPORTAGE] L’Union des associations familiales de l’HĂ©rault s’est engagĂ©e dĂšs 2010 sur la rĂ©duction de ses impacts environnementaux. A l’époque...
Image générée numériquement d'herbe et de fleurs poussant sur une forme sphérique abstraite multicouche sur fond bleu foncé. Et logo NESS
15/04/2024

🔍 Aligner les planùtes de la transition dans l’ESS

[DECRYPTAGE] La transition Ă©cologique des organisations de l’ESS est une prioritĂ© face Ă  l’urgence climatique. L’obstacle parait immense pour beaucoup...
Selon le Shift project, le secteur de l'autonomie (handicap et vieillissement, domicile et Ă©tablissements)  Ă©met 10 millions de tonnes Ă©q. CO2 par an
15/04/2024

📈 10 M t Ă©q. CO2

[INFOGRAPHIE] Le secteur social et mĂ©dico-social reprĂ©sente une part majoritaire des activitĂ©s des structures de l’ESS, mais nous n’en connaissons...
Ness vous souhaite une bonne année 2024
04/01/2024

Ness vous souhaite une bonne année 2024 !

Evolution du travail, transition Ă©cologique, dynamique territoriale
 Ça vous tente pour 2024 ? Alors parlons Economie sociale...