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Dossier Ness#11 : comment rehausser l’attractivitĂ© des mĂ©tiers de l’ESS

11/10/2024
personnes assises dans un salle et qui lĂšvent le bras et logo Ness

[DECRYPTAGE] Agir pour l’attractivitĂ© des mĂ©tiers de l’ESS nĂ©cessite une stratĂ©gie Ă  deux niveaux. Le niveau national oĂč se dĂ©cide les montants et modes de financement des missions d’utilitĂ© sociale, afin de rendre effective la reconnaissance de ces mĂ©tiers par le salaire. Et le niveau de la structure pour agir tout de suite. Le premier levier d’action est l’amĂ©lioration des conditions de travail par le renforcement du collectif de travail et la responsabilisation des professionnels.

En 2021, une Ă©tude dĂ©nombrait 30 000 postes vacants dans l’action sociale et mĂ©dico-sociale. Deux ans plus tard, ce sont 35 000 postes qui ne trouvent pas de candidat sur des mĂ©tiers liĂ©s au handicap, Ă  la dĂ©pendance, Ă  la protection des personnes vulnĂ©rables ou la petite enfance. Cela correspond Ă  4,5 % des effectifs couverts par la confĂ©dĂ©ration Axess (Syndicats employeurs Nexem et Fehap), auteure de cette Ă©tude (voir notre infographie). Cette hĂ©morragie touche la majeure partie de l’ESS. Selon le syndicat employeur HexopĂ©e, il manquait 10 % des effectifs dans l’éducation populaire en 2021. L’aide Ă  domicile est l’un des secteurs qui souffre le plus depuis le Covid. 86 % des structures interrogĂ©es par l’UNA, l’une des principales organisations employeur de la branche, affirment rencontrer des difficultĂ©s de recrutement. L’Action Ă©ducative Ă  domicile (accompagnement de la parentalitĂ©, mesures Ă©ducatives), jusque-lĂ  bien lotie, peine dĂ©sormais Ă  trouver des candidats, faute de diplĂŽmĂ©s en nombre : « C’est 10 % des postes qui ne sont pas pourvus sur une annĂ©e complĂšte », explique CĂ©line Mons, prĂ©sidente du Cnaemo.

Le mĂ©tier d’éducateur spĂ©cialisĂ© (trĂšs prĂ©sent dans l’aide Ă©ducative, la protection de l’enfance et le handicap), est le mĂ©tier le plus en tension selon un sondage rĂ©alisĂ© par une quinzaine de fĂ©dĂ©rations franciliennes du secteur privĂ© non-lucratif des solidaritĂ©s et de la santĂ© (associations, fondations). Viennent ensuite les mĂ©tiers d’assistant de service social, assistant Ă©ducation et social, moniteur-Ă©ducateur et infirmiers.

Améliorer la rémunération

PremiĂšre cause de cette dĂ©saffection : la faiblesse des salaires. Un exemple, aprĂšs de longues nĂ©gociations, l’Avenant 43 Ă  la convention collective de l’aide Ă  domicile signĂ© en 2021 avait permis de relever sensiblement les salaires
 pour atteindre le niveau du Smic. Mais deux ans plus tard, l’effet positif s’est largement dissout dans l’inflation. Un ou une Ă©ducatrice spĂ©cialisĂ©e dĂ©bute avec 1300 Ă  1500 euros par mois selon les branches.

Au-delĂ  des niveaux de rĂ©munĂ©ration, c’est l’inĂ©galitĂ© de traitement qui dĂ©tourne de nombreux candidats. Le premier SĂ©gur avait permis de revaloriser de nombreux mĂ©tiers du care et du soin mais uniquement dans le secteur public. Ce qui a bien sĂ»r provoquĂ© une vague de dĂ©part depuis les associations, vers ces Ă©tablissements publics. D’autres accords ont attĂ©nuĂ© ces inĂ©galitĂ©s, mais les dĂ©gĂąts sont lĂ  et certaines inĂ©galitĂ©s persistent, comme le souligne CĂ©line Mons : « Les Ă©ducateurs en ont bĂ©nĂ©ficiĂ©, mais pas ceux qui travaillent dans les espaces de rencontre ou les services de parentalitĂ© par exemple (
) cela crĂ©Ă© des tensions sociales. Une proposition de loi devait y remĂ©dier, mais la dissolution est intervenue et on ne sait pas ce que ça va devenir. »

L’amĂ©lioration des rĂ©munĂ©rations est un impĂ©ratif et ce sont les pouvoirs publics qui ont la main sur les cordons de la bourse. C’est donc au niveau des organisations de branche (employeurs et salariĂ©s) et de leur capacitĂ© de nĂ©gociation avec l’Etat que le premier levier d’attractivitĂ© se joue.

Mais les inĂ©galitĂ©s peuvent aussi ĂȘtre territoriales. Par exemple, dans l’aide Ă  domicile, la revalorisation salariale validĂ©e par l’Etat en 2021, dĂ©pendait des DĂ©partements qui gĂšrent les fonds publics de la dĂ©pendance et force est de constater que l'application de cette revalorisation a variĂ© selon les territoires.

Changement de regard sur les métiers

Pour nĂ©gocier, il faut Ă©tablir le bon rapport de force. Or, que ce soit sur l’enjeu du vieillissement, du handicap, ou de l’aide sociale Ă  l’enfance (pour ne citer que ceux-lĂ ) 
 il manque encore une prise de conscience qui permette d’inscrire Ă  l’agenda politique ces questions au rang de prioritĂ© nationale. Pour mĂ©moire, la grande loi sur le « bien vieillir », annoncĂ©e durant le premier mandat d’Emmanuel Macron reste, pour l’heure, lettre morte sans que la communautĂ© nationale ne s’en Ă©meuve.

Une telle prise de conscience nationale permettrait aussi, peut-ĂȘtre, de faire Ă©voluer les modĂšles de financement de ces activitĂ©s. Le financement Ă  l’acte, telle qu’il se pratique, par exemple dans l’aide Ă  domicile, pose une injonction Ă  la productivitĂ© dĂ©connectĂ©e de l’objectif global. « Nous parlons de l’humain, de comment nous accompagnons nos semblables », explique Uvaldo Polvoreda, directeur du PĂŽle Handicap de l’Apahj du Tarn (Ă©couter notre reportage Ă  Castres). Lui-mĂȘme prĂŽne de revenir dans la confiance dans le professionnel. « A force de vouloir qu’il n’arrive rien de grave, que l’on soit « couvert », nous avons normalisĂ© les procĂ©dures jusqu’à aseptiser les pratiques. » Revenir au financement des missions, plutĂŽt que de l’activitĂ© serait une ouverture pour redonner la main au professionnel qui, en gagnant de l’autonomie, retrouverait aussi du sens dans son quotidien.

Redonner la main aux pros

Cela permettrait par ailleurs, de redonner des marges organisationnelles aux associations que l’on dĂ©signe trop systĂ©matiquement de « gestionnaires services ». L’étude du PĂŽle d’expertise SQVCT d’Harmonie Mutuelle ESS identifie d’ailleurs la QVT comme le levier le plus aisĂ© Ă  actionner afin que chaque structure amĂ©liore l’attractivitĂ© de ses postes. Viennent ensuite le cadre de vie sur le territoire, puis l’image globale des mĂ©tiers (Ă©couter notre podcast expert). Au rang des axes d’action listĂ©s par l’étude : un management plus participatif, l’organisation du temps de travail, l’amĂ©nagement d’espaces plus attrayants, le renforcement de la qualitĂ© et la fiabilitĂ© des Ă©quipements et enfin, l’optimisation des parcours professionnels.

Notre sĂ©rie de podcasts alimente le rĂ©servoir d’actions concrĂštes que chaque organisation pourrait s’approprier. Cette capacitĂ© Ă  agir est d’autant plus importante que les situations de sous-effectifs accentuent les contraintes pour rĂ©aliser au mieux son travail ce qui renforcent la spirale de la dĂ©saffection des professionnels.

RĂ©amorcer la pompe

La formation est devenue, aussi, un axe stratĂ©gique. Le Cnaemo constate qu’il est de plus en plus difficile de trouver des jeunes professionnels diplĂŽmĂ©s (Ă©ducateurs spĂ©cialisĂ©s) et que les associations se rĂ©signent Ă  embaucher des animateurs Ă©ducateurs afin de les former en interne. Pour CĂ©line Mons le systĂšme d’orientation Parcoursup dĂ©grade fortement l’accĂšs aux formations d’éducateur, par exemple, pour y envoyer des Ă©tudiants peu motivĂ©s. Pour preuve, une part croissante de ces Ă©tudiants abandonnent en cours de route leur cursus. Beaucoup d’associations misent sur l’alternance, quand c’est possible, mais aussi sur le recours Ă  des services civiques (il existe un service civique senior par exemple), afin d’attirer de nouveaux profils qui iront, ensuite se former.

Le recrutement est aussi Ă  soigner. Pauline Bourgeois met en avant les efforts de l’UNA pour nouer des partenariats opĂ©rationnels afin de « faire connaĂźtre la rĂ©alitĂ© des mĂ©tiers ». L’idĂ©e gĂ©nĂ©rale est d’aller au-devant des candidats potentiels que ce soit par des campagnes nationales (partenariat en cours avec France Travail) ou par la dĂ©multiplication des actions localement (prĂ©sence dans les salons, jobdating
). Des structures passent le pas en rĂ©compensant d’une prime les salariĂ©s qui cooptent de nouvelles recrues. Et aprĂšs le recrutement, une intĂ©gration rĂ©ussie est la premiĂšre Ă©tape si on veut fidĂ©liser. L’étude d’Harmonie Mutuelle ESS identifie de nombreuses pratiques pour mieux accompagner le nouvel embauchĂ© dans sa prise de poste (Retrouvez l'Ă©tude et les 3 brochures qui en ont Ă©tĂ© tirĂ©es par le pĂŽle SQVCT Harmonie Mutuelle ESS).

Un CDD plutît qu’un CDI

Dans l’ESS, il n’y a pas de grande dĂ©mission, au sens oĂč on ne quitte pas un bullshit job (un travail inintĂ©ressant pour le salariĂ© et sans impact). Ces mĂ©tiers attirent car ils sont porteurs de sens, mais ils déçoivent aussi du fait des conditions de rĂ©alisation et attĂ©nuent le niveau d’engagement. D’ailleurs, si certains quittent le mĂ©tier, d’autres se protĂšgent en refusant les CDI. C’est un phĂ©nomĂšne naissant mais soulignĂ© par toutes les organisations d’employeurs. Des professionnels se « protĂšgent » en prĂ©fĂ©rant le CDD ou l’intĂ©rim qui autorisent des respirations, tout en apportant une rĂ©munĂ©ration plus intĂ©ressante. C’est un paradoxe dans un contexte oĂč le renforcement du collectif de travail est le meilleur garant d’une activitĂ© plus saine. Mais ces professionnels y voient un moyen de tenir. Et pendant ce temps, les associations et fondations sont contraintes de recourir Ă  ces formes de contrat courts, plus couteux, pour rĂ©pondre Ă  l’urgence du besoin. Cela alimente la complexitĂ© de la tĂąche des Ă©quipes en place qui doivent composer avec une part d’effectif volatile.

Mais aujourd’hui, l’offre Ă©tant supĂ©rieure Ă  la demande, ce sont les candidats qui sont en situation de choisir. Et la jeune gĂ©nĂ©ration n’est pas prĂȘte Ă  tout sacrifier pour le mĂ©tier qu’elle souhaite exercer. Ce qui est, aussi, un changement de culture Ă  mener dans cette Ă©conomie sociale et solidaire.

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