[DECRYPTAGE] LâESS nâest pas LA solution aux dĂ©sert mĂ©dicaux, mais elle en est une. Et elle est trop peu sollicitĂ©e par les politiques publiques. Les associations, mutuelles et coopĂ©ratives conjuguent pourtant la culture de lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral Ă une forte capacitĂ© Ă travailler lâamĂ©lioration de lâoffre de soins de premier recours en pleine coopĂ©ration avec lâensemble des parties prenantes Ă lâĂ©chelle dâun territoire.
Laval, prĂ©fecture de la Mayenne, quartier Hilard Ă quelques encablures Ă peine du centre-ville⊠Câest au pied dâune tour, dans dâanciens appartements transformĂ©s en service mĂ©dical de proximitĂ© que se trouve la seule chance pour nombre dâhabitants sans mĂ©decin traitant de trouver une solution de suivi mĂ©dical correct.
« Le service mĂ©dical de proximitĂ© Henri-Dunant est animĂ© par des mĂ©decins retraitĂ©s et des internes et accueille des patients qui nâont pas ou plus de mĂ©decin traitant sur le dĂ©partement », explique Etienne Le MiĂšre, directeur de lâactivitĂ© soins de VYV3 Pays de la Loire, qui dĂ©veloppe ce concept de Service mĂ©dical de proximitĂ©. Et lâon vient de loin dans le dĂ©partement pour consulter lâun des 16 mĂ©decins qui se relaient chaque jour. 13 mĂ©decins retraitĂ©s et trois internes, rĂ©unis au sein de ce centre santĂ© mutualiste atypique oĂč le recours aux anciens est aussi un moyen dâattirer des nouveaux mĂ©decins sur le territoire (Ă©couter notre podcast Une mĂ©decine gĂ©nĂ©rale, plusieurs gĂ©nĂ©rations de mĂ©decins).
RĂ©duire le manque de professionnels
Au cĆur de la problĂ©matique, il y a le manque quantitatif de mĂ©decins. Depuis des dĂ©cennies, on ne forme pas assez de mĂ©decins gĂ©nĂ©ralistes en France pour compenser le dĂ©part Ă la retraite des gĂ©nĂ©rations nĂ©es aprĂšs-guerre. Et pourtant le nombre de mĂ©decins actifs augmente (+20 000 entre 2010 et 2023 selon le Conseil de lâOrdre). Mais le vieillissement de la population et lâaspiration des jeunes gĂ©nĂ©rations de mĂ©decins dâen finir avec les 70 heures de consultation par semaine pour mieux articuler vie privĂ©e et vie professionnelle, accroit le handicap de cette course contre la montre.
Aujourdâhui, ce sont 11 % des Français qui subissent les consĂ©quences du manque de mĂ©decin gĂ©nĂ©raliste : difficultĂ© Ă obtenir un rendez-vous, suivi dĂ©licat pour des pathologies chroniques, impossibilitĂ© de dĂ©clarer un mĂ©decin traitant⊠(en savoir plus sur ce chiffre clĂ©). Et prĂšs dâun français sur cinq (18 %) connait une difficultĂ© dâaccĂšs aux soins (accĂšs aux gĂ©nĂ©ralistes, Ă une pharmacie ou Ă un service dâurgence) selon la Direction de la recherche, des Ă©tudes, de lâĂ©valuation et des statistiques (Drees) du ministĂšre de la SantĂ©.
Ces moyennes masquent par ailleurs de grandes disparitĂ©s territoriales que lâon peut rĂ©sumer schĂ©matiquement : aux mĂ©tropoles lâabondance, aux territoires ruraux et suburbains la disette. LâaccessibilitĂ© des soins suit la courbe des inĂ©galitĂ©s sociales et territoriales. Alors si le problĂšme quantitatif ne trouvera de solution que dans les politiques de formation, lâESS joue un rĂŽle pour amĂ©liorer les conditions dâaccessibilitĂ© sociale et territoriale aux soins de premier recours.
Accessibilité sociale
Sur le plan social, lâESS au travers principalement dâassociations et de centres de santĂ© mutualistes, « abonde lâoffre de soins conventionnĂ©s dits de secteur 1 » comme le rappel Romain Guerry, rĂ©fĂ©rent SantĂ© au Labo de lâESS, dans notre podcast expert
« Comment lâESS peut-elle faire reculer les dĂ©serts mĂ©dicaux ? ». Des soins facturĂ©s sans dĂ©passement dâhonoraire au patient et donc remboursĂ©s, quand le tiers payant nâest pas totalement assurĂ©.
Ces centres, oĂč les mĂ©decins sont salariĂ©s, ont mĂȘme la capacitĂ© de suivre des patients atteints de pathologies chroniques multiples en leur sein par la coopĂ©ration entre mĂ©decins spĂ©cialistes. Une dĂ©marche globale facilitĂ©e depuis que certains de ces centres sont sortis du financement Ă lâacte par la sĂ©curitĂ© sociale pour ĂȘtre financĂ©s au forfait. Toutefois lâaccessibilitĂ© sociale a un coĂ»t pour la collectivitĂ© qui nâest plus toujours suffisamment assumĂ© par les partenaires de ces centres de soins associatifs dont beaucoup se trouvent aujourdâhui en difficultĂ© rappelle, aussi, Romain Guerry.
Territoire de santé
A Laval, le SMP Henri Dunant est un centre de santĂ© gĂ©rĂ© par VYV3, la branche accompagnement et soin du groupe mutualiste VYV (Harmonie Mutuelle, MGEN, MNTâŠ). VYV3 apporte son ingĂ©nierie, son expertise en santĂ© au projet qui est le fruit dâune coopĂ©ration avec les collectivitĂ©s territoriales, lâOrdre des mĂ©decins du dĂ©partement, lâAgence rĂ©gionale de santĂ©âŠ
« Nous apportons chacun une part du financement, hors des recettes de la Caisse primaire dâassurance maladie, pour que les mĂ©decins retraitĂ©s soient sur leur cĆur de mĂ©tier qui est la consultation », explique Etienne Le MiĂšre. Cet ancrage territorial est au cĆur des modĂšles mutualistes et associatifs. Un atout Ă faire valoir au moment oĂč les collectivitĂ©s, (villes, agglomĂ©rations, dĂ©partements) ont compris que lâoffre de santĂ© est non seulement un enjeu de cohĂ©sion sociale, mais aussi dâattractivitĂ© territoriale.
Tout lâinverse des « vrais-faux » centres de santĂ© franchisĂ©s tels quâAlliance vision, sur la sellette pour des surfacturations de soins et dĂ©conventionnĂ©s rĂ©cemment par lâAssurance maladie .
Acteur du soin ou de la santé ?
Sans sây opposer les Centres de soins marquent leur diffĂ©rence avec les Maisons de santĂ©, qui associent des mĂ©decins libĂ©raux en un lieu mutualisĂ© pour renforcer lâoffre de soins par le regroupement de professionnels de santĂ©. Par exemple⊠Si des mĂ©decins qui avaient exercĂ© en cabinet libĂ©ral pendant 40 ans ont Ă©tĂ© dâaccord pour se lancer dans lâaventure du SMP Henri Dunant Ă Laval (deux autres se sont crĂ©Ă©s au Mans et Ă Cholet), câest bien parce quâils en Ă©taient salariĂ©s et, Ă ce titre, Ă©taient libĂ©rĂ©s de toute tĂąche de gestion administrative pour se concentrer sur le suivi des patients.
Une autre forme issue de lâESS commence aussi Ă Ă©merger, celle des centres de soins coopĂ©ratifs, plus prĂ©cisĂ©ment optant pour le statut de SociĂ©tĂ© coopĂ©rative dâintĂ©rĂȘt collectif (Scic). Câest le statut choisi par La Place SantĂ©, un centre de santĂ© communautaire nĂ© sous statut associatif Ă Saint-Denis. Le principe : renouveler en profondeur la pratique professionnelle du mĂ©decin gĂ©nĂ©raliste qui, au lieu dâapprĂ©hender la seule pathologie du patient, prend en compte lâensemble de son environnement et notamment social pour apporter une rĂ©ponse globale. Un concept parfaitement expliquĂ© par Didier MĂ©nard dans notre podcast « Aller vers le patient⊠le versant cachĂ© de lâaccĂšs aux soins made in ESS ». Ce dernier a crĂ©Ă© le centre de Saint-Denis il y a trente ans. Lâun des principes fort de son action est dâassocier la population Ă la production de lâoffre de soins. Non pas pour quâelle soigne, mais pour quâelle devienne actrice de sa santĂ©. Didier MĂ©nard raconte notamment comment la mobilisation de patientes, conscientes que lâutilisation du vĂ©lo pour leur dĂ©placement Ă©tait bonne pour leur santĂ©, a interpellĂ© les Ă©lus afin de crĂ©er lâinfrastructure cyclable adĂ©quate dans leur quartier des Francs-Moisins.
Le Centre de santĂ© est devenu Scic afin dâintĂ©grer Ă sa gouvernance mĂ©decins, habitants et collectivitĂ©s et produire, dans le respect du secret mĂ©dical et de ce quâon appelle le dialogue singulier entre le mĂ©decin et le patient, une offre de santĂ© plus efficace Ă la collectivitĂ©.
Ce statut Scic parait prometteur afin de construire les solutions pour une santé territoriale adaptée aux enjeux sociétaux du vieillissement, tout comme pour sortir du désert des territoires ruraux ou des quartiers populaires.
Car si lâaugmentation du nombre de mĂ©decins est indispensable Ă la rĂ©duction des dĂ©serts mĂ©dicaux, elle ne rĂ©pondra pas Ă tous les enjeux dâĂ©galitĂ© dâaccĂšs aux soins que ce soit sur un plan gĂ©ographique ou financier. La rĂ©gulation de lâinstallation des mĂ©decins sur les territoires prioritaires par la loi continue de faire dĂ©bat dans la sphĂšre politique. Quel quâen soit lâissue, la lutte contre les dĂ©serts mĂ©dicaux ne pourra se passer de la coopĂ©ration territoriale qui dĂ©montre, lĂ oĂč elle sâexprime, son efficacitĂ© Ă dĂ©ployer des solutions innovantes, concertĂ©es et donc adaptĂ©es aux besoins en santĂ©. Il parait donc difficile de se passer du potentiel dâacteurs Ă©conomiques qui mettent lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral en tĂȘte de leurs prioritĂ©s.