🔍 Retrouver le souffle de vie
 collective

07/07/2021
Analyse Ness

Dans tous les secteurs de l’éducation populaire, de la culture ou du sport, l’espoir de relancer l’activitĂ© plein pot se conjugue Ă  la motivation de faire reculer la tendance au repli sur soi. Car il ne suffira pas de se revoir pour refaire sociĂ©tĂ© collectivement.

Les adhĂ©rents disparus dans les confinements vont-ils revenir en septembre ? « C’est la question cruciale pour les administrateurs et les professionnels en ce dĂ©but de mois de juillet », explique Robert Ricciuti, directeur de la MJC-Centre social de Bollwiller, village de 4000 habitants au pied des Vosges alsaciennes (Ă©coutez notre podcast). Dans cette MJC, l’interruption des activitĂ©s culturelles a vu disparaĂźtre 600 des 1700 adhĂ©rents en 2020. La reprise des cours de danse (800 inscrits habituellement) Ă  partir du mois de mars a permis d’en retrouver 400. Mais il a fallu dĂ©penser beaucoup d’énergie pour motiver les adhĂ©rents, dĂ©goter des lieux de cours en extĂ©rieur et il a fallu investir dans le matĂ©riel : enceintes et tapis d’extĂ©rieur, Ă©crans gĂ©ants et matĂ©riel vidĂ©o pour organiser des sĂ©ances Ă  distance permettant une vĂ©ritable interaction entre professeurs et Ă©lĂšves. Des efforts que toutes les associations ne pouvaient assumer.

Enjeu Ă©conomique et social

La question recouvre un enjeu Ă©conomique et social pour les associations. L’emploi a souffert dans ces secteurs avec des baisses de 12 Ă  15 % du nombre de contrats en 2020 comme le montre la Note de conjoncture de l’emploi ESS publiĂ©e le 5 juillet par ESS France. Les finances aussi, malgrĂ© le soutien public comme le chĂŽmage partiel, le fonds UrgencESS et le fonds de solidaritĂ© dans une moindre part. Dans le sport, 66 % des associations sportives craignent un non-retour des adhĂ©rents selon le dernier sondage rĂ©alisĂ© par le Cosmos (syndicat employeur de la branche) aprĂšs la levĂ©e des restrictions sanitaires. « Si les adhĂ©rents ne reviennent pas quand l’Etat va dĂ©brancher les aides, ça va devenir compliquĂ© », s’inquiĂšte Laurent Martini, dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral du Cosmos.

Adaptation, innovation

Mais au-delĂ  de la santĂ© Ă©conomique des structures, l’enjeu pour toutes ces associations est de retrouver le sens de leur mission : contribuer au lien social, favoriser le vivre ensemble. Sur ce point, le diagnostic des dĂ©gĂąts causĂ©s par les diffĂ©rentes pĂ©riodes de confinement est relativement sombre. Le confinement a stimulĂ© les innovations pour tenter de rĂ©duire les distances et « contourner » la fermeture des lieux clos. Comme l’indique David Cluzeau, dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral du syndicat employeur HexopĂ©e (animation, sport, culture, tourisme), « On arrive mieux Ă  parler avec des rĂ©seaux de jeunes avec le dĂ©veloppement du numĂ©rique ». Mais la perspective de la rentrĂ©e conserve de nombreuses inconnues : « il y a une vraie envie de reprendre le sport, on le sent, mais dans quel cadre ? Retrouver la compĂ©tition en clubs ? Plus de pratiques individuelles hors structures ? Veut-on encore payer une adhĂ©sion et une licence ? », tambourine Laurent Martini.

De quoi sera fait demain ?

« 18 mois de crise ont modifiĂ© des pratiques et des comportements. Cela va avoir un impact sur l’organisation de nos vies, mĂȘme si les queues devant les magasins n’ont pas disparu, elles. Par exemple, est-ce que le tĂ©lĂ©travail aura un impact sur les modes d’organisation des familles ? Y aura-t-il une baisse pĂ©renne dans les accueils de loisirs ? Nous sommes obligĂ©s de rĂ©interroger nos pratiques », assume David Cluzeau.

Dans les centres sociaux dont le projet est de stimuler la participation des habitants et favoriser leur pouvoir d’agir sur leur territoire au travers de services et de constructions de projets collectifs, on sait dĂ©jĂ  qu’il y a un plaisir Ă  retrouver le centre social, ses activitĂ©s et ses services dĂ©diĂ©s aux familles. « Nous avons moins subit le stop and go. 85 % des centres sociaux sont restĂ©s actifs durant la pĂ©riode de premier confinement , mais sous des formes diffĂ©rentes via le numĂ©rique et des actions hors les murs, grĂące Ă  une grosse mobilisation des Ă©quipes salariĂ©es et bĂ©nĂ©voles. La fatigue est lĂ , mais il n’y pas eu Ă  recrĂ©er une relation ou un lien de confiance au moment de la reprise », explique Denis Tricoire, dĂ©lĂ©guĂ© national chargĂ© de l’appui au rĂ©seau et de la communication Ă  la FĂ©dĂ©ration des centres sociaux et socio-culturels de France (FCSF). MĂȘme si les liens ne se sont pas brisĂ©s, les habitants ne sortent pas indemnes de cette pĂ©riode : « autant le lien individuel a pu se maintenir, autant le lien entre groupes d’habitants, le fait de penser et construire les choses collectivement s’est arrĂȘtĂ© avec le confinement Â» regrette Denis Tricoire. C’est un syndrome du « A quoi bon ! » qui remonte du terrain. « Pourtant dans un contexte oĂč une crise dĂ©mocratique s’exprime (voir la participation aux Ă©lections), l’engagement dans la vie de la citĂ©, sur des sujets qui concernent les habitants est fondamental. Et il est aussi vecteur de la reconnaissance de ces habitants et de leur implication. D’oĂč l’enjeu de rĂ©investir le lien et le collectif », souhaite Denis Tricoire.

Reconstruire du collectif

Comment faire ? Un leitmotiv s’entend dans les centres sociaux : il faut « aller vers ». Autrement dit, partir Ă  la rencontre des populations, notamment les plus vulnĂ©rables. La dĂ©marche n’est pas nouvelle et avant mĂȘme le confinement, de nombreux centres sociaux multipliaient les occasions d’aller Ă  la rencontre des habitants en dĂ©veloppant des actions itinĂ©rantes. La fĂ©dĂ©ration est d’ailleurs le rĂ©cent laurĂ©at d’un appel Ă  manifestation d’intĂ©rĂȘt « Centres sociaux itinĂ©rants » qui va permettre le dĂ©ploiement d’une cinquantaine d’équipements mobiles (camion dans les campagnes, triporteurs dans les zones urbaines) : « l’intention est d’aller Ă  la rencontre des personnes dans leurs espaces de vie et de circulation, de permettre la rencontre et l’écoute individuelle pour ensuite accompagner la rencontre et les projets collectifs. Le principe d’un centre social c’est l’accueil inconditionnel. Mais il faut plus parler du centre social comme un espace de rencontre et de construction dans un territoire plutĂŽt que seulement comme un lieu », dĂ©crit Denis Tricoire.

Enjeu démocratique

L’enjeu est profond. L’abstention aux Ă©lections rĂ©gionales, tout particuliĂšrement dans les quartiers prioritaires est un autre signe de ce « A quoi bon ? ». L’importance de la thĂ©matique sĂ©curitaire dans une campagne pour des collectivitĂ©s locales qui n’en ont pas la compĂ©tence poussent les acteurs associatifs Ă  rĂ©affirmer aussi le rĂŽle du vivre ensemble qui, lui, est un enjeu pour les Ă©lus rĂ©gionaux et dĂ©partementaux : « Il faut transformer le langage en disant : oui, il faut de la sĂ©curitĂ© mais il faut aussi de la sĂ©curitĂ© familiale, professionnelle
 Et cela se fait en donnant les moyens d’accĂ©der Ă  la culture et aux loisirs
 en travaillant sur d’autres filets de sĂ©curitĂ© », explique David Cluzeau. Et de ce point de vue, le dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral d’HexopĂ©e croit « beaucoup Ă  l’hybridation expĂ©rimentĂ©e durant le confinement. Notre objectif est de crĂ©er du collectif et cette hybridation doit permettre de recrĂ©er du lien : on peut aller dans des interstices de vie oĂč on ne pouvait pas aller auparavant. »

Coopération inter acteurs

Selon l’enquĂȘte du Mouvement associatif et Recherches & SolidaritĂ© parue en mai, plus du tiers des associations estiment que le rapprochement entre associations est une solution pour agir (voir notre infographie). La coopĂ©ration entre acteurs d’un territoire est aussi un levier fort de consolidation d’un Ă©cosystĂšme du vivre ensemble comme le pousse Harold George, directeur du Centre social Bourgogne Pont de Neuville Ă  Tourcoing (Ă©coutez notre podcast en ligne le 20 juillet).

Concrétiser la reconnaissance du rÎle des associations

Les associations sont dĂ©jĂ  lancĂ©es sur le terrain dans la construction de l’avenir, mais David Cluzeau pose les termes de la discussion avec les pouvoirs publics : « Nous avons gagnĂ© nos galons d’acteur Ă©conomique utile Ă  la nation et nous saluons le rĂŽle d’Olivia GrĂ©goire qui fait Ă©merger l’ESS au sein de Bercy. Mais avec quelle distribution des cartes ? Il faut dĂ©finitivement convaincre que l’ESS n’est pas qu’une Ă©conomie de secours. C’est une Ă©conomie permanente, avec des gens qui y travaillent, qui ont une valeur. Ce qu’on doit obtenir Ă  terme c’est la reconnaissance de cette utilitĂ© sociale dans des politiques publiques mieux financĂ©es, dans la reconnaissance des qualifications de tous nos collaborateurs. Ça passe aussi par du sonnant et du trĂ©buchant. »

Cette reconnaissance, obtenue durant le confinement, dont parle David Cluzeau se retrouve notamment dans le maintien des financements des caisses d’allocation familiales vers les centres sociaux, dĂšs lors qu’ils maintenaient un tant soit peu d’activitĂ© : « Le soutien de la CNAF et des collectivitĂ©s ont Ă©tĂ© un appui essentiel pour que nos structures ne souffrent pas trop. Notre inquiĂ©tude est plus pour demain, quand il faudra rembourser la dette. Il ne faudra pas que le lien social soit le parent pauvre de ces arbitrages », relĂšve Denis Tricoire.

Au Cosmos, on attend beaucoup des mesures prĂ©vues pour la rentrĂ©e scolaire : une campagne nationale de communication pour inciter Ă  retrouver les clubs de sport et le pass Sport qui permettra aux familles bĂ©nĂ©ficiant de l’allocation de rentrĂ©e scolaire de se faire financer une partie de leurs frais d’adhĂ©sion.

Autrement dit, les associations anticipent le risque de voir les pouvoirs publics avoir la mĂ©moire courte au moment oĂč la sociĂ©tĂ© d’aprĂšs sera vraiment d’actualitĂ©.

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