Dans tous les secteurs de lâĂ©ducation populaire, de la culture ou du sport, lâespoir de relancer lâactivitĂ© plein pot se conjugue Ă la motivation de faire reculer la tendance au repli sur soi. Car il ne suffira pas de se revoir pour refaire sociĂ©tĂ© collectivement.
Les adhĂ©rents disparus dans les confinements vont-ils revenir en septembre ? « Câest la question cruciale pour les administrateurs et les professionnels en ce dĂ©but de mois de juillet », explique Robert Ricciuti, directeur de la MJC-Centre social de Bollwiller, village de 4000 habitants au pied des Vosges alsaciennes (Ă©coutez notre podcast). Dans cette MJC, lâinterruption des activitĂ©s culturelles a vu disparaĂźtre 600 des 1700 adhĂ©rents en 2020. La reprise des cours de danse (800 inscrits habituellement) Ă partir du mois de mars a permis dâen retrouver 400. Mais il a fallu dĂ©penser beaucoup dâĂ©nergie pour motiver les adhĂ©rents, dĂ©goter des lieux de cours en extĂ©rieur et il a fallu investir dans le matĂ©riel : enceintes et tapis dâextĂ©rieur, Ă©crans gĂ©ants et matĂ©riel vidĂ©o pour organiser des sĂ©ances Ă distance permettant une vĂ©ritable interaction entre professeurs et Ă©lĂšves. Des efforts que toutes les associations ne pouvaient assumer.
Enjeu Ă©conomique et social
La question recouvre un enjeu Ă©conomique et social pour les associations. Lâemploi a souffert dans ces secteurs avec des baisses de 12 Ă 15 % du nombre de contrats en 2020 comme le montre la Note de conjoncture de lâemploi ESS publiĂ©e le 5 juillet par ESS France. Les finances aussi, malgrĂ© le soutien public comme le chĂŽmage partiel, le fonds UrgencESS et le fonds de solidaritĂ© dans une moindre part. Dans le sport, 66 % des associations sportives craignent un non-retour des adhĂ©rents selon le dernier sondage rĂ©alisĂ© par le Cosmos (syndicat employeur de la branche) aprĂšs la levĂ©e des restrictions sanitaires. « Si les adhĂ©rents ne reviennent pas quand lâEtat va dĂ©brancher les aides, ça va devenir compliquĂ© », sâinquiĂšte Laurent Martini, dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral du Cosmos.
Adaptation, innovation
Mais au-delĂ de la santĂ© Ă©conomique des structures, lâenjeu pour toutes ces associations est de retrouver le sens de leur mission : contribuer au lien social, favoriser le vivre ensemble. Sur ce point, le diagnostic des dĂ©gĂąts causĂ©s par les diffĂ©rentes pĂ©riodes de confinement est relativement sombre. Le confinement a stimulĂ© les innovations pour tenter de rĂ©duire les distances et « contourner » la fermeture des lieux clos. Comme lâindique David Cluzeau, dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral du syndicat employeur HexopĂ©e (animation, sport, culture, tourisme), « On arrive mieux Ă parler avec des rĂ©seaux de jeunes avec le dĂ©veloppement du numĂ©rique ». Mais la perspective de la rentrĂ©e conserve de nombreuses inconnues : « il y a une vraie envie de reprendre le sport, on le sent, mais dans quel cadre ? Retrouver la compĂ©tition en clubs ? Plus de pratiques individuelles hors structures ? Veut-on encore payer une adhĂ©sion et une licence ? », tambourine Laurent Martini.
De quoi sera fait demain ?
« 18 mois de crise ont modifiĂ© des pratiques et des comportements. Cela va avoir un impact sur lâorganisation de nos vies, mĂȘme si les queues devant les magasins nâont pas disparu, elles. Par exemple, est-ce que le tĂ©lĂ©travail aura un impact sur les modes dâorganisation des familles ? Y aura-t-il une baisse pĂ©renne dans les accueils de loisirs ? Nous sommes obligĂ©s de rĂ©interroger nos pratiques », assume David Cluzeau.
Dans les centres sociaux dont le projet est de stimuler la participation des habitants et favoriser leur pouvoir dâagir sur leur territoire au travers de services et de constructions de projets collectifs, on sait dĂ©jĂ quâil y a un plaisir Ă retrouver le centre social, ses activitĂ©s et ses services dĂ©diĂ©s aux familles. « Nous avons moins subit le stop and go. 85 % des centres sociaux sont restĂ©s actifs durant la pĂ©riode de premier confinement , mais sous des formes diffĂ©rentes via le numĂ©rique et des actions hors les murs, grĂące Ă une grosse mobilisation des Ă©quipes salariĂ©es et bĂ©nĂ©voles. La fatigue est lĂ , mais il nây pas eu Ă recrĂ©er une relation ou un lien de confiance au moment de la reprise », explique Denis Tricoire, dĂ©lĂ©guĂ© national chargĂ© de lâappui au rĂ©seau et de la communication Ă la FĂ©dĂ©ration des centres sociaux et socio-culturels de France (FCSF). MĂȘme si les liens ne se sont pas brisĂ©s, les habitants ne sortent pas indemnes de cette pĂ©riode : « autant le lien individuel a pu se maintenir, autant le lien entre groupes dâhabitants, le fait de penser et construire les choses collectivement sâest arrĂȘtĂ© avec le confinement » regrette Denis Tricoire. Câest un syndrome du « A quoi bon ! » qui remonte du terrain. « Pourtant dans un contexte oĂč une crise dĂ©mocratique sâexprime (voir la participation aux Ă©lections), lâengagement dans la vie de la citĂ©, sur des sujets qui concernent les habitants est fondamental. Et il est aussi vecteur de la reconnaissance de ces habitants et de leur implication. DâoĂč lâenjeu de rĂ©investir le lien et le collectif », souhaite Denis Tricoire.
Reconstruire du collectif
Comment faire ? Un leitmotiv sâentend dans les centres sociaux : il faut « aller vers ». Autrement dit, partir Ă la rencontre des populations, notamment les plus vulnĂ©rables. La dĂ©marche nâest pas nouvelle et avant mĂȘme le confinement, de nombreux centres sociaux multipliaient les occasions dâaller Ă la rencontre des habitants en dĂ©veloppant des actions itinĂ©rantes. La fĂ©dĂ©ration est dâailleurs le rĂ©cent laurĂ©at dâun appel Ă manifestation dâintĂ©rĂȘt « Centres sociaux itinĂ©rants » qui va permettre le dĂ©ploiement dâune cinquantaine dâĂ©quipements mobiles (camion dans les campagnes, triporteurs dans les zones urbaines) : « lâintention est dâaller Ă la rencontre des personnes dans leurs espaces de vie et de circulation, de permettre la rencontre et lâĂ©coute individuelle pour ensuite accompagner la rencontre et les projets collectifs. Le principe dâun centre social câest lâaccueil inconditionnel. Mais il faut plus parler du centre social comme un espace de rencontre et de construction dans un territoire plutĂŽt que seulement comme un lieu », dĂ©crit Denis Tricoire.
Enjeu démocratique
Lâenjeu est profond. Lâabstention aux Ă©lections rĂ©gionales, tout particuliĂšrement dans les quartiers prioritaires est un autre signe de ce « A quoi bon ? ». Lâimportance de la thĂ©matique sĂ©curitaire dans une campagne pour des collectivitĂ©s locales qui nâen ont pas la compĂ©tence poussent les acteurs associatifs Ă rĂ©affirmer aussi le rĂŽle du vivre ensemble qui, lui, est un enjeu pour les Ă©lus rĂ©gionaux et dĂ©partementaux : « Il faut transformer le langage en disant : oui, il faut de la sĂ©curitĂ© mais il faut aussi de la sĂ©curitĂ© familiale, professionnelle⊠Et cela se fait en donnant les moyens dâaccĂ©der Ă la culture et aux loisirs⊠en travaillant sur dâautres filets de sĂ©curitĂ© », explique David Cluzeau. Et de ce point de vue, le dĂ©lĂ©guĂ© gĂ©nĂ©ral dâHexopĂ©e croit « beaucoup Ă lâhybridation expĂ©rimentĂ©e durant le confinement. Notre objectif est de crĂ©er du collectif et cette hybridation doit permettre de recrĂ©er du lien : on peut aller dans des interstices de vie oĂč on ne pouvait pas aller auparavant. »
Coopération inter acteurs
Selon lâenquĂȘte du Mouvement associatif et Recherches & SolidaritĂ© parue en mai, plus du tiers des associations estiment que le rapprochement entre associations est une solution pour agir (voir notre infographie). La coopĂ©ration entre acteurs dâun territoire est aussi un levier fort de consolidation dâun Ă©cosystĂšme du vivre ensemble comme le pousse Harold George, directeur du Centre social Bourgogne Pont de Neuville Ă Tourcoing (Ă©coutez notre podcast en ligne le 20 juillet).
Concrétiser la reconnaissance du rÎle des associations
Les associations sont dĂ©jĂ lancĂ©es sur le terrain dans la construction de lâavenir, mais David Cluzeau pose les termes de la discussion avec les pouvoirs publics : « Nous avons gagnĂ© nos galons dâacteur Ă©conomique utile Ă la nation et nous saluons le rĂŽle dâOlivia GrĂ©goire qui fait Ă©merger lâESS au sein de Bercy. Mais avec quelle distribution des cartes ? Il faut dĂ©finitivement convaincre que lâESS nâest pas quâune Ă©conomie de secours. Câest une Ă©conomie permanente, avec des gens qui y travaillent, qui ont une valeur. Ce quâon doit obtenir Ă terme câest la reconnaissance de cette utilitĂ© sociale dans des politiques publiques mieux financĂ©es, dans la reconnaissance des qualifications de tous nos collaborateurs. Ăa passe aussi par du sonnant et du trĂ©buchant. »
Cette reconnaissance, obtenue durant le confinement, dont parle David Cluzeau se retrouve notamment dans le maintien des financements des caisses dâallocation familiales vers les centres sociaux, dĂšs lors quâils maintenaient un tant soit peu dâactivitĂ© : « Le soutien de la CNAF et des collectivitĂ©s ont Ă©tĂ© un appui essentiel pour que nos structures ne souffrent pas trop. Notre inquiĂ©tude est plus pour demain, quand il faudra rembourser la dette. Il ne faudra pas que le lien social soit le parent pauvre de ces arbitrages », relĂšve Denis Tricoire.
Au Cosmos, on attend beaucoup des mesures prĂ©vues pour la rentrĂ©e scolaire : une campagne nationale de communication pour inciter Ă retrouver les clubs de sport et le pass Sport qui permettra aux familles bĂ©nĂ©ficiant de lâallocation de rentrĂ©e scolaire de se faire financer une partie de leurs frais dâadhĂ©sion.
Autrement dit, les associations anticipent le risque de voir les pouvoirs publics avoir la mĂ©moire courte au moment oĂč la sociĂ©tĂ© dâaprĂšs sera vraiment dâactualitĂ©.